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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra
Autoren: Claude Izner
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extrêmes empruntées sans discernement à l'univers du spectacle. Il se haussa sur la pointe des pieds. Sa taille qui n'excédait pas un mètre trente l'obligeait à lever la nuque, posture propice aux douleurs cervicales.
    — On m'a chargé de...
    — Donne !
    — Non ! Je dois remettre ce paquet en main propre !
    — J'ai les mains propres, répliqua le bellâtre en le lui arrachant. Oh, des pralines ! C'est gentil, ça. De la part de qui ?
    — D'un habitué de l'Opéra.
    — Il a un nom, cet habitué ?
    —M. Lambert Pagès, répondit le petit homme d'un ton doucereux.
    — Ce fesse-mathieu ! Ce boursier à la mie de pain ! Eh, Olga, des pralines, c'est vraiment indiqué pour votre ligne !
    — Tony, cessez ce jeu stupide ! Revenez, j'ai froid.
    — Le devoir m'appelle ! lança le bellâtre. Va te promener, demi-portion !
    La porte claqua.
    Le petit homme serra les poings. Des pulsations rapides et violentes vibraient à travers son corps. Un flux de haine montait en lui, le monde se teinta de pourpre.
    — Mon salut... Ma rédemption, tu ne sais même pas qui je suis, et pourtant... murmura-t-il.
    Dans la nuit du 28 au 29 octobre 1873, une vive lueur brasilla entre la rue Le Peletier et la rue Drouot, au cœur de la salle abritant provisoirement l'Opéra de Paris. Certains prétendirent par la suite qu'ils avaient entendu exploser une canalisation de gaz. D'autres suggérèrent qu'un accident était survenu dans les magasins de fourrage ou de décors. Le petit homme, âgé de vingt-trois ans, ne découvrit jamais la vérité. En revanche, une image restait imprimée en lui : celle d'une étroite langue rouge les cernant brusquement, tandis qu'ils évoluaient parmi les costumes du Faust de Gounod. Alors ouvrier dans les portants, Melchior Chalumeau compensait la modestie de son emploi par une remarquable connaissance des lieux où il travaillait et une belle habileté de faussaire qui lui avait permis de posséder les doubles de la moindre clé. Il se souvenait parfaitement de la scène : il s'était emparé du chapeau conique de Méphistophélès et s'amusait grâce à une série de rictus et de contorsions à provoquer les cris terrifiés de la gamine. Bientôt, il allait l'enlacer, bientôt il la palperait d'autant plus aisément qu'il ne la dominait que de quelques centimètres. Le trait incandescent l'en avait empêché...
    Il y eut, tout près, un bruit de planches qui dégringolent. Le petit homme émergea d'un abîme et se débattit un instant aux lisières du réel. Son tumulte intérieur s'apaisa, les mirages écarlates s'estompèrent, vagues réminiscences d'une histoire très lointaine.

CHAPITRE II
    Lundi 15 mars
     
    « Peu donne à son serviteur qui son couteau lèche, prétend Kenji. Ce pingouin-là, je l'imagine suçant son eustache entre deux bouchées tant il est mesquin », songea Joseph Pignot.
    — Non, monsieur le duc, je regrette, je reconnais que ces ouvrages ont de la valeur, cependant ces titres sont communs.
    Joseph secoua la tête et rendit les livres au solliciteur penché au-dessus du comptoir de la librairie.
    — Mais ils viennent de chez vous, c'est l'écriture de M. Mori !
    Joseph examina les signes cabalistiques tracés au crayon sur la page de garde des Contes de Perrault illustrés par Gustave Doré. Il pensa expédier le bonhomme chez son parrain, Fulbert Bottier, bouquiniste quai Voltaire, spécialisé en éditions numérotées, parchemins, grimoires et autographes, puis il se ravisa, inutile d'emmouscailler le meilleur copain de feu son père.
    — Ma parente par alliance, la comtesse de Salignac, les a offerts aux fils de mon neveu, M. de Pont-Joubert !
    « Ton neveu, ton neveu ! rumina Joseph. Ce gommeux à particule qui, autrefois, m'a soufflé Valentine, mon amour de jeunesse, attends voir ! »
    Il toisa le duc de Frioul.
    « Tu déclines, tu es fatigué, tu parais aux abois... Dettes de jeu ? »
    Le duc revenait à la charge :
    — Je possède de magnifiques reliés, vous pourrez venir les voir rue Michel-Ange si vous m'achetez ceux-ci. Je suis sûr que vous dénicherez des premières éditions...
    — Non, je... Nous sommes en plein inventaire et... Joseph lut la consternation sur les traits de son interlocuteur.
    — D'accord, je les prends au tiers du prix de vente, grommela-t-il en se traitant d'imbécile.
    Il sortit des billets du tiroir-caisse et suivit des yeux le duc de Frioul qui s'éloignait d'un pas victorieux.
     
    C'était une belle matinée pour une
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