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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra
Autoren: Claude Izner
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PROLOGUE
    Le cabinet de lecture gîtait à l'intersection d'une impasse et d'une rue étroite investie par des ferrailleurs. C'était une bâtisse trapue, grisâtre, accolée à des toilettes publiques. Accrochée à son mur, la lanterne de verre d'un réverbère réfléchissait un éclat de ciel jaune sur l'inscription qui courait au-dessus de l'entrée :
    BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE
    Ouverte de 2 heures à 7 heures
    Le demi-maroquin était rangé sur la plus basse étagère entre Les Évangiles de Lamennais et Le Mariage chrétien , de Mgr Dupanloup. Personne ne l'avait jamais consulté. Après un tortueux périple, de la hotte d'un chiffonnier à la boutique d'un brocanteur, il se morfondait là depuis cinq ans.
    Une longue table flanquée de bancs occupait le centre de la pièce. Des rayonnages recelaient des livres cartonnés, brochés, reliés, de formats et d'épaisseurs divers. Un poêle dressait sa masse bleutée à l'angle d'un vestibule. L'odeur âcre de la sciure imprégnait l'atmosphère. Pas un bruit, hormis le froissement d'une feuille de journal.
    Retranché à l'abri d'un bureau surélevé, le préposé, ue à la tête, bésicles au nez, recopiait des fiches.
    Il haussait parfois le menton et, porte-plume en l'air, considérait les abonnés plantés face aux ouvrages.
    La porte s'ouvrit. Une matrone du quartier sortit de son panier plusieurs romans populaires à vingt sous, un homme en chandail tira d'un cabas le tome I des Mystères du peuple . Le préposé enregistra les retours, puis il ajusta son plaid autour de ses épaules et descendit les deux marches de l'estrade.
    Le demi-maroquin, intitulé Les Danses macabres en France médiévale , fut extirpé de sa retraite. Une main en tourna les pages, un buste se pencha vers une gravure accompagnée d'une note explicative :
    « Un squelette en guise de violon, un ossement pour archet, la mort mène la danse. Elle entraîne dans sa sarabande les trépassés de toutes conditions, de tous âges, papes, rois, serfs, nantis, mendiants, hommes, femmes, vieillards, enfants. »
    — C'est ça ! C'est exactement ça ! murmura une voix. Cette allégorie colle pile à mes hantises. Il va sans dire qu'interpréter le rôle de la faucheuse dépasse largement mes compétences... Relève le défi ! Tu endosseras la houppelande à capuche, tu les contraindras à te suivre en enfer. Qui te soupçonnerait d'un tel talent ? Sombres combinaisons, pièges fatals, toi-même tu doutes de parvenir à tes fins, tu es tellement quelconque.
    Le préposé raviva la flamme des lampes à gaz et alla fourrager le poêle.

CHAPITRE PREMIER
    Jeudi 11 mars 1897
     
    Au fil des ans, la ville ne cessait de croître et de rejeter en vrac à sa périphérie tout ce qui l'encombrait. Elle y accumulait quantités de garnis, de bouges, de taudis, de fermes moribondes, enclavés par les nœuds ferroviaires et les glacis des fortifications. La rue de Charenton incarnait la digne illustration de ces hoquets libérant les artères citadines de sécrétions indésirables. Y accédait-on de Paris qu'on y recensait des hôtels borgnes, de maigres boutiques au parfum ranci, des caravansérails et des bastringues à deux sous où danser n'était qu'un prélude à des ébats plus sensuels. L'accostait-on via Vincennes que l'on percutait le chemin de fer de ceinture et celui du Paris-Lyon-Marseille après avoir franchi des fossés, fiefs des orphéons militaires qui répétaient le samedi. On escaladait des talus semés de détritus, de traverses à moitié calcinées, de vieux wagons de bois démantelés, un vrai paradis pour les mioches, les clochards et les chiens errants. Une roulotte avait élu domicile en contrebas.
    Dans cette terre d'incertitude, loin des immeubles bourgeois, la nuit endeuillait les terrains vagues et l'horizon fumeux des voies ferrées. Pelotonnée sous son toit moussu piqueté d'herbes folles, la maison ressemblait à un porc-épic. Elle tenait bon, contre vents et marées, coincée entre le cimetière des concessions perpétuelles et la manufacture de cigarettes des tabacs de La Havane. Une fenêtre aux vitres fêlées donnait sur une sente qui se transformait en bourbier les jours de pluie. On débouchait directement dans la cuisine par une porte fissurée située à l'arrière d'un jardin en friche ceint d'un muret. Par dérision, les habitants du coin l'avaient baptisée L'îlot Trésor.
    Sa propriétaire, Suzanne Arbois, une sexagénaire minuscule et trapue, au visage
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