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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle
Autoren: Christian Bernadac
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affaires et laissent faire. En tout cas, moi dans ce règlement, j’ai hérité un beau chapeau tyrolien avec un magnifique ruban dans lequel était plantée une plume de faisan. Le train roulait doucement. La nuit venait. On passe au milieu des décombres de la gare d’Amstetten. La région devenait vallonnée, coupée de bois de sapins noirs qui cloisonnaient des prairies. J’estime que c’est le moment, il fait suffisamment sombre et le terrain paraissait favorable.
    — Au dernier moment, j’ai hésité à balancer dehors ces deux pauvres vieux ; je me suis discrètement glissé dehors, par l’autre porte, me recevant au sol sans difficulté, le train allant au pas, entouré des volutes noires de la fumée de la locomotive poussive. Le train disparu, je prends la direction sud pour m’éloigner du Danube et chercher dans les montagnettes pas très éloignées un camouflage adapté à ma situation de promeneur irrégulier. La campagne résonnait de bruits divers, dont ceux reconnaissables du roulement des convois. Chose normale, me suis-je dit, ils font monter des troupes au-devant des Russes. Donc, pas de doute, il fallait que je m’éloigne le plus possible des grands axes longeant le fleuve.
    — Il n’y avait pas de lune. Il faisait très noir. Seules de nombreuses étoiles brillaient dans le ciel. Peu à peu, dans la nuit, ma vue s’adapte et j’arrive à distinguer les obstacles sur ma route. Mais je n’étais pas seul dans la campagne, j’entendais tout autour des voix allemandes et la résonance caractéristique des travaux de terrassement. J’ai tout de suite compris que j’étais tombé au milieu de troupes travaillant un peu partout à installer des lignes de fortifications de campagne et certainement aussi à installer des champs de mines où je risquais de me faire sauter si j’avais la malchance de les traverser. Il fallait qu’au plus vite, je me sorte de là. Donc, avec une extrême prudence, l’oreille aux aguets, le plus silencieusement possible, choisissant mon chemin, j’avançais pas à pas. Cette première nuit fut pénible et plusieurs fois j’ai eu peur d’être repéré. Mais la Providence était de mon côté.
    — Avant le jour, je me cache au flanc d’un ravin, dans un buisson d’épines noires très touffu, qui me dissimulait parfaitement, il faisait très beau, j’ai dormi toute la journée. La nuit revenue, j’ai repris ma route en me dirigeant vers l’ouest. À ma droite, la grande plaine du Danube, à ma gauche la ligne de hautes collines. J’ai marché avec la même prudence et les mêmes précautions que la nuit précédente. Et ainsi une journée et une nuit encore. Mais je mourais de faim, et je n’osais pas m’approcher des habitations où j’aurais pu, avec hardiesse et adresse, trouver quelque nourriture. Je craignais d’y rencontrer des humains ou de mettre des chiens en éveil.
    — Au matin du troisième jour, la cachette choisie était à proximité d’un hameau et d’une route. Je suis tiré de mon sommeil par le bruit d’une voiture sur la route en contrebas. L’événement méritait que je m’y intéresse car rien ne passait sur cette route depuis que j’étais là. Quel ne fut pas mon étonnement de découvrir, dans une carriole à deux roues tractée par un gros cheval de labour, rouan, aux paturons ornés de grosses touffes de poils et trottant lentement et lourdement : Pichon qui, au camp, servait de secrétaire. La voiture était lourdement chargée de bagages divers. Pichon tenait les rênes ; près de lui, sur le siège, dormait un vieux Posten, le fusil entre les jambes. J’ai appris plus tard qu’il avait été chargé de rapporter, de Melk, des documents ; il allait ainsi vers un nouveau camp, celui d’Ebensee. Plus que la route, déserte, je surveillais les trois maisons du hameau qui semblaient inoccupées. Dans la prairie, à mi-chemin du hameau, il y avait une grosse meule de paille dans laquelle des volailles allaient et venaient.
    — La nuit venue, je vais explorer la meule, non dans le projet d’y attraper une poule que je n’aurais pu faire cuire et qui, à coup sûr, aurait alerté le voisinage par ses cris, mais dans l’espoir d’y trouver des œufs. Effectivement, je découvre un nid avec beaucoup d’œufs. Je n’aurais jamais cru que des œufs couvés ou pourris puissent être aussi répugnants et immangeables. J’ai repris ma route, le ventre creux. La nuit était déjà assez avancée
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