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le monde à peu près

le monde à peu près

Titel: le monde à peu près
Autoren: Jean Rouaud
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prodige : une nouvelle étoile est née,
plus éclatante que Véga, plus belle que Cassiopée, plus lumineuse qu’Altaïr :
Gloria in excelsis Théo – ne quittant mon planétarium intérieur que
pour mettre pied à terre devant les panneaux de circulation et coller le nez
sur l’émail bleu des petites flèches qui indiquent en lettres blanches les
lieux-dits.
    C’est ainsi qu’après m’être familiarisé avec la toponymie
(Les Haies Noires, la Bosse du Diable et autres invitations au voyage), avoir
tourné en rond pendant une bonne heure et exploré systématiquement les chemins
vicinaux de la campagne logréenne – et certains plusieurs
fois –, je tombai par hasard sur la ferme de la grand-mère à l’érotique
tombeau, dont il m’apparaissait de plus en plus qu’elle avait, la grand-mère,
dans cette histoire, bon dos. La description donnée par son pieux héritier ne
laissait guère de doute : sur la boite aux lettres clouée contre un poteau
à l’entrée du chemin on pouvait lire Paradoxe et Equivoque. Ce qui était censé
représenter pour le facteur les patronymes de Gyf et de sa dernière compagne,
sans savoir vraiment qui était Paradoxe et qui Equivoque, mais certainement de
la famille Ambiguë.
    C’était une petite maison de plain-pied, à l’étable
contiguë, comme il s’en rencontre des milliers dans la campagne au nord de la
Loire, longère au toit d’ardoise, percée de deux fenêtres encadrant une porte
d’entrée à double vantail – la partie inférieure pouvant demeurer
seule fermée, empêchant ainsi les animaux de s’inviter dans la cuisine. Gyf,
quand il en parlait, forçait un peu sur le caractère bucolique du lieu, sa
puissance tellurique, sa capacité de ressourcement, les mots lui manquaient,
disait-il. Or avant même de pénétrer dans la maison j’aurais pu déjà décrire le
plafond bas, les poutres apparentes noircies par la fumée du foyer, le sol en
terre battue, la cuisinière à charbon et la table recouverte d’une toile cirée
collante tombant sur les genoux des convives assis de chaque côté sur des
bancs. Ce qui n’exigeait pas de ma part une connaissance approfondie des
coutumes et de l’habitat local : nous nous approvisionnions en lait dans
une ferme semblable autrefois, grâce à quoi, après avoir assisté à la traite
(le grand fils, trayon en main, profitant d’être seul pour expédier un puissant
jet de lait à travers l’étable et établir un nouveau record de distance) et
découvert certaines pratiques inconnues de nous (comme de poursuivre le repas
en retournant l’assiette), nous nous empressions sur la route du retour de
vérifier les effets de la force centrifuge (et ainsi de comprendre le mouvement
des planètes) en faisant tournoyer à bout de bras le bidon de lait sans en
renverser une goutte – sauf cette fois où nous dûmes retourner faire
le plein.
    La grand-mère de Gyf avait apporté quelques améliorations,
notamment en couvrant le sol d’une chape de ciment, mais, pour l’essentiel, la
décoration intérieure était d’époque (notamment le bandeau de la cheminée bordé
d’un tissu vichy à petits carreaux rouge et blanc, et le très caractéristique
abat-jour en pâte de verre blanc, cône aplati au bord ondulé transparent, muni
d’un contrepoids de céramique en forme de poire bourré de petits plombs qui
permet d’en régler la hauteur), la touche du propriétaire actuel se
reconnaissant à un désordre terrassant pour qui – une poule, par
exemple – se fût avisé d’y retrouver ses poussins.
    Gyf en était bien conscient, qui demandait de ne pas faire
attention. Mais difficile à moins de fermer les yeux, et peut-être aussi de se
boucher le nez : une vaisselle de plusieurs jours dans l’évier, une
cuisinière antique qui avait conservé les stigmates de plusieurs siècles de
cuisson, sur la table les bols du matin et la gamelle du chat posée sur des
notes de cours, aux murs des torchons peints dans un registre expressionniste
(lorsque je me hasardai à demander au peintre la symbolique de ce chardon
coiffé d’un Ovni, je m’en voulus de n’avoir pas reconnu immédiatement le Che et
son célèbre béret), dans un angle un balai déguisé en marionnette et, dans un
fauteuil en cuir, visiblement défoncé étant donné la position basse de ses
occupants, le chat dormant sur les genoux de Paradoxe ou d’Equivoque, mais une
jolie blonde aux longs cheveux fins, encadrant un visage
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