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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan
Autoren: Noah Gordon
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se mit au lit.
    « Repose-toi
bien, petit gars, dit-il. Dors tranquille, tu n'as rien à craindre de
moi. »
    Croyant à une
ruse, Rob attendait, sous la peau d'ours puante, les cuisses serrées, sa pièce
dans la main droite et, dans la gauche, une pierre. Mais il savait qu'il ne
pourrait résister aux armes de l'homme et qu'il était à sa merci.
    Pourtant, pas
d'erreur, le Barbier dormait ; c'était même un redoutable ronfleur !
    Sa liqueur
avait laissé à Rob un goût de médicament. L'alcool lui courait dans le corps
tandis qu'il se pelotonnait dans les fourrures, et la pierre lui échappa.
Serrant toujours la pièce, il voyait les Romains en rangs, acclamant dix fois
les héros qui refusaient la défaite. Au-dessus de sa tête, les blanches étoiles
roulaient à travers le ciel, si lentes qu'il aurait pu les cueillir et en faire
un collier pour Mam. Il pensa à chacun des membres de sa famille. Samuel
surtout lui manquait. Et si Jonathan mouille ses couches, pourvu que Mme Arwyn
soit patiente. Il espérait que le Barbier retournerait bientôt à Londres, tant
il lui tardait de revoir les enfants.
     
    Le Barbier
savait ce que ressentait son nouvel assistant : il s'était retrouvé seul
au même âge après le pillage du village de pêcheurs où il était né, et qui
brûlait encore dans sa mémoire.
    Son père
maudissait le roi Ethelred, ses impôts, le luxe de la belle reine Emma qu'il
avait ramenée de Normandie, l'armée coûteuse qui servait sa sécurité
personnelle plus que la défense du peuple, sa cruauté... Beaucoup crachaient
rien qu'à entendre son nom. Au printemps de 991, il avait scandalisé ses sujets
en détournant à prix d'or les pirates danois ; par la suite, naturellement,
les expéditions sanglantes se multiplièrent contre le pays, désarmé par la
lâcheté de son roi.
    Cette
semaine-là, Henry Croft avait accompagné son père dans une grande pêche au
hareng ; quand ils rentrèrent un matin, une demi-douzaine de bateaux
norvégiens à la proue recourbée étaient cachés dans une crique. L'enfant
s'enfuit en apercevant à la fenêtre de sa propre maison un étranger vêtu de
peaux de bêtes. Sa mère gisait sur le sol, violée et assassinée ; un peu
plus tard, son père fut pris et on lui trancha la gorge.
    Fou de peur et
de chagrin, Henry courut se cacher dans les bois comme un animal traqué. Quand
il sortit, hébété et mort de faim, les Norvégiens étaient partis, ne laissant
que des cadavres et des cendres. On envoya l'enfant avec les autres orphelins à
l'abbaye de Crowland. Comme il ne restait généralement derrière les pirates que
peu de moines et beaucoup d'orphelins, les bénédictins faisaient d'une pierre
deux coups en tonsurant ces jeunes sans famille.
    A neuf ans,
Henry dut promettre à Dieu de vivre à jamais pauvre et chaste. Il y gagna du
savoir : quatre heures d'étude, six heures de dur travail, le reste en
contemplation et en prières. Offices du matin, offices de l'après-midi, offices
du soir, offices perpétuels. Ni récréations ni exercice du corps. Une élite de
mystiques et de pénitents, des nobles aussi réfugiés là pour sauver leur vie,
vivaient en cellules individuelles ; les autres couchaient au dortoir, qui
résonnait la nuit de toux, ronflements, échos de cauchemars ou de masturbations,
chuchotements et récriminations de mal nourris.
    La ville de
Peterborough était à trois lieues de là. Quand Henry eut quatorze ans, il
demanda à son confesseur la permission d'aller prier au bord de la rivière et
réussit, par un beau soir d'été, à prendre le large dans un petit bateau resté
sur la berge. Il erra dans les villages, dormant où il pouvait, vivant de dons
et de petits larcins. Dans le port de Grimsby, un pêcheur l'engagea comme aide
et le fit travailler dur pendant deux ans. Le pêcheur mort, il connut à nouveau
la faim avant de rencontrer des baladins dont il apprit les tours, les
jongleries et les histoires. La sœur du conteur fut la première fille qui lui
ouvrit ses bras.
    La troupe
s'était dispersée depuis, quelques semaines quand, à Matlock, sa vie prit un
nouveau tournant : il entra pour six ans au service d'un
barbier-chirurgien nommé James Farrow. L'homme avait la réputation, dangereuse
à l'époque, de s'y connaître en sorcellerie ; Henry acquit bientôt la
certitude qu'il n'en était rien. Son maître était intraitable, le battait pour
la moindre erreur, mais il lui enseigna parfaitement tout ce qu'il
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