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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan
Autoren: Noah Gordon
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qu'elle
semblât les avoir abandonnés car il allait, chaque matin, au siège de la
corporation pour apprendre qu'il n'y avait pas de travail. Avec d'autres
malheureux, il cherchait l'évasion dans la boisson, une sorte d'hydromel :
l'un fournissait le miel, un autre les épices et l'on trouvait toujours un
pichet de vin.
    Agnes avait
appris par des épouses de charpentiers que, souvent, l'un des chômeurs ramenait
une femme sur laquelle les autres, plus ou moins ivres, prenaient leur tour.
Mais elle ne pouvait pas se passer de son mari, malgré ses faiblesses :
elle aimait trop le plaisir. A peine était-elle accouchée qu'il lui faisait un
nouvel enfant et, chaque fois qu'elle approchait du terme, il évitait la
maison. La vie d'Agnes confirmait à peu de chose près les sinistres prédictions
de son père. Quand, déjà enceinte de Rob, elle avait épousé le jeune
charpentier, venu de Wartford pour aider à construire la grange des voisins, il
lui avait reproché ses années d'école : « L'instruction, disait-il,
rend les filles folles de leur corps. »
    Son père avait
eu une petite ferme, octroyée par Ethelred de Wessex pour payer ses années de
service. C'était le premier de la famille à devenir propriétaire, et il avait
envoyé sa fille à l'école dans l'espoir de lui trouver un riche parti. Les gros
exploitants ont besoin d'une personne de confiance qui sache lire et
compter : alors, pourquoi pas une épouse ? Déçu de la voir gâcher ses
chances, il n'avait même pas pu la déshériter car, à sa mort, son peu de bien
était allé à la Couronne pour payer des impôts en retard.
    Mais
l'ambition du père avait marqué la fille pour la vie. C'est à l'école des
nonnes qu'elle avait vécu ses cinq années les plus heureuses : chaussées
d'écarlate, vêtues de violet et de blanc, avec leurs voiles plus légers que
nuages, elles lui avaient enseigné à lire et à écrire, un peu de latin de
catéchisme, la coupe et la couture à points invisibles, enfin la broderie la
plus raffinée, cette broderie anglaise si recherchée des Français. Ainsi les
« bêtises » apprises chez les nonnes évitaient-elles aux siens de
mourir de faim.
    Ce matin-là,
elle avait hésité à partir livrer ses broderies. Son accouchement semblait
proche, elle se sentait énorme, lourde... Mais les réserves étaient presque
épuisées, il fallait acheter de la farine au marché de Billingsgate et elle
avait besoin pour cela de l'argent que lui verserait l'exportateur à Southwark,
de l'autre côté de la Tamise. Portant son petit ballot, elle se dirigea donc,
sans hâte, vers le pont de Londres.
    La rue de la
Tamise était comme toujours encombrée de bêtes de somme et de dockers qui
transportaient les marchandises entre les entrepôts souterrains et la forêt de
mâts le long des quais. Le bruit fondit sur elle comme la pluie sur une terre
sèche. Malgré ses ennuis, elle savait gré à Nathanael de l'avoir emmenée loin
de Wartford et de la ferme paternelle.
    Elle aimait
tant cette ville !
    Des commères
se traitaient de garces et de voleuses, des cascades de rires fleurissaient de
mots étrangers, d'insultes et de bénédictions. Elle dépassa des esclaves en
guenilles qui tiraient des barres de fonte vers les bateaux amarrés aux quais.
Les chiens aboyaient après ces misérables aux crânes rasés ruisselants de
sueur, et Agnes sentit l'odeur d'ail qui s'exhalait de leurs corps mal lavés.
Un arôme plus plaisant l'arrêta près d'un colporteur qui vendait des pâtés à la
viande. L'eau lui en vint à la bouche, mais elle n'avait qu'une pièce de
monnaie dans sa poche et, à la maison, des enfants affamés.
    « Qui
veut mes pâtés ? criait l'homme. Bons et chauds comme un doux
péché ! »
    Les docks
embaumaient la résine et les cordages goudronnés. Elle posa la main sur son
ventre et sentit bouger son enfant dans la mer fermée de ses hanches. Au coin
de la rue, des marins, la fleur au bonnet, chantaient des airs gaillards,
accompagnés de trois musiciens qui jouaient du fifre, du tambour et de la
harpe. Les dépassant, elle remarqua un homme adossé à une étrange charrette
décorée des signes du zodiaque. Il paraissait la quarantaine et commençait à
perdre ses cheveux, d'un brun roux comme sa barbe. Moins gros, il aurait été
plus beau que Nathanael : des traits agréables, un visage coloré et un
ventre imposant ; mais sa corpulence, loin d'être repoussante, était
désarmante et lui
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