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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan
Autoren: Noah Gordon
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père, il rebroussa chemin vers la guilde – ce qu'aurait fait tout enfant de
charpentier en cas de difficulté. La guilde des charpentiers se trouvait au
bout de la rue du même nom dans un vieux bâtiment de colombage et de torchis.
Autour de la grande table, Rob reconnut des voisins de son père mais Nathanael
n'était pas avec eux.
    La guilde,
c'était tout pour les travailleurs du bois : bureau d'entraide et de
placement, dispensaire, pompes funèbres, service social, influence politique et
soutien moral... C'était une société étroitement organisée et hiérarchisée. Les
décisions du procureur des charpentiers avaient le poids des sentences royales,
et c'est à ce grand personnage que Rob s'adressa immédiatement. Richard Bukerel
semblait voûté sous le poids des responsabilités. Tout en lui était
sombre : les cheveux et les yeux, le pantalon étroit, la tunique, le
pourpoint de laine grossière teinte au brou de noix. Sa peau avait la couleur
du cuir tanné par mille jours de soleil ; mesuré dans ses gestes, sa
pensée, ses propos, il prêta à l'enfant une oreille attentive.
     
     
    « Nathanael
n'est pas là, mon garçon.
    – Savez-vous
où le trouver, maître Bukerel ?
    – Un instant,
s'il te plaît », dit Bukerel après un temps de réflexion, et il s'approcha
d'un groupe voisin. Rob ne saisit que quelques mots chuchotes.
    – Il est avec
cette putain-là ? »
    Puis il
revint.
    « Nous
savons où est ton père et nous allons le chercher. Va vite rejoindre ta
mère ; nous serons bientôt là. »
    Rob remercia
et partit en courant. Sans s'arrêter pour reprendre haleine, esquivant les
charrettes, évitant les ivrognes, il naviguait à travers la foule. A mi-chemin,
il aperçut son ennemi, Antony Tite, avec lequel il s'était tant battu l'année
précédente ; suivi de deux de ses acolytes, Tony se moquait des esclaves
des docks. « Petit salaud, pensa Rob, ne t'avise pas de me retarder, mais
tu ne perds rien pour attendre. » Un jour aussi, il réglerait son compte à
son père, cette ordure ! Un des jeunes voyous l'avait repéré et le
désignait à Tony mais il était déjà hors d'atteinte. A bout de souffle, avec un
point de côté, il arriva aux écuries juste à temps pour voir une drôle de
vieille emmailloter un nouveau-né. L'odeur lourde du crottin de cheval se
mêlait à celle du sang. Mam était couchée par terre, les yeux fermés, très
pâle. Pour la première fois, elle lui parut toute petite.
    « Mam ?
    – T'es le
fils ?
    – Oui »,
fit-il d'un signe de tête en tâchant de reprendre son souffle. La vieille se
racla la gorge et cracha.
    « Laisse-la
tranquille », dit-elle.
     
    En arrivant
aux écuries, Nathanael regarda à peine son fils. Dans la charrette remplie de
paille que Bukerel avait empruntée à un entrepreneur de la guilde, ils
ramenèrent Mam à la maison, avec le bébé qui fut baptisé Roger Kemp Cole.
Chaque fois qu'elle en mettait un au monde, Agnes le montrait aux autres
enfants, toute fière et rieuse. A présent, elle restait allongée, immobile, les
yeux fixés sur le chaume du plafond.
    Nathanael se
décida à aller chercher la voisine, la veuve Hargreaves.
    « Elle ne
peut même pas nourrir l'enfant, lui dit-il.
    – Cela
s'arrangera peut-être », répondit Délia Hargreaves.
    Elle
connaissait une nourrice à qui elle porta le bébé, au grand soulagement de
Rob : il avait assez à faire avec les autres ; Jonathan, qui était
propre avant, ne l'était déjà plus, sans la surveillance de sa mère. Pa restait
à la maison, mais Rob lui parlait peu et se débrouillait sans lui. Les leçons
du matin lui manquaient car Mam savait en faire un jeu. Personne n'avait sa
chaleur, sa malice tendre, sa patience avec les mémoires paresseuses.
    Rob chargea
Samuel d'occuper dehors William et Anne Mary. Ce soir-là, la petite pleura,
réclamant une berceuse, et l'aîné s'exécuta, soulagé que Tony Tite ne soit pas
là pour l'entendre.
    Mam semblait
mieux le lendemain mais c'était la fièvre, dit Pa, qui lui colorait les joues.
Elle frissonnait, bien qu'ils aient ajouté des couvertures. Le troisième matin,
en lui donnant à boire, Rob s'effraya de son visage brûlant. Elle lui tapota la
main.
    « Mon
Rob, soupira-t-elle, déjà si grand garçon. »
    Elle respirait
vite et son haleine était fétide. Quand il lui prit la main, quelque chose
passa dans son esprit, de son corps à elle. Une prémonition. Il sut avec une
certitude absolue
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