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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade
Autoren: Marianne Leconte
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chair remplaça le corps de pierre. Refoulant ses larmes, elle saisit la deuxième carte.
    Celle qui sait , que les initiées appelaient tendrement Bibi, caressait d’une main le serpent de la connaissance lové sur ses genoux. Enveloppée dans un sari composé de fleurs des champs, elle donnait de la main gauche le signal du départ. Le peuple élu connaissait bien cette vieille femme qui apparaissait quand il devait reprendre la route de l’exil. Inquiète, Myrin poursuivit son exploration.
    La Guérisseuse l’attendait . Vêtue d’une longue robe blanche, une grenade dans la main droite, un bouquet de mauves et de gentianes dans la gauche, elle descendait un magnifique escalier de marbre. Derrière elle, on apercevait un paysage champêtre protégé par un arc-en-ciel. On appelait aussi cette carte La Petite Mère aux herbes . Elle symbolisait la femme sage qui connaît les plantes médicinales et la sage-femme, celle qui est capable d’accoucher les corps et les âmes. C’était la carte de Tchalaï. Et depuis peu de temps, la sienne.
    Cette image bouleversa l’orpheline qui ferma les paupières quelques secondes pour se ressaisir.
    La signification générale était claire.
    Les yeux embués de larmes, elle contempla longuement les deux figures féminines afin de les fixer dans sa mémoire. Ce travail apaisa sa douleur. Le temps du deuil n’était pas venu. Il fallait obéir à Bibi, vivre et agir.
    Elle examina les trois arcanes suivants :
    La première lame lui dévoila l’ennemi. Le Pourvoyeur , un géant drapé dans une robe noire, le visage dissimulé par un masque d’argent, se saisissait de petites créatures nues agenouillées devant lui.
    En deuxième position, un Cavalier d’épée galopait à sa rencontre. Un guerrier d’un certain âge à la figure avenante ; le petit bouc qui cachait un menton pointu lui donnait un air coquin, presque égrillard, mais les yeux qui la détaillaient en douce étaient bienveillants. Un protecteur et un ami. Elle ne perdit pas de temps en vaines supputations et retourna la dernière lame.
    Aggarttha !
    Parce que le drame l’avait fragilisée, L’Œil du pays caché l’hypnotisa et l’avala. Un boyau étroit et sombre. Les parois rugueuses déchirent ses vêtements, écorchent sa peau qui s’effiloche en lambeaux. Paniquée par le noir et le manque d’air, elle rampe malgré la douleur et la peur, persuadée de mourir si elle s’arrête, arrosant le sol de sang et de larmes. Le temps s’étire. Elle avance à l’aveuglette, en appui sur ses avant-bras et ses genoux jusqu’à ce que la galerie s’agrandisse peu à peu. Une lumière irisée baigne soudain les parois brillantes comme un miroir. Les murs s’estompent, Myrin se retrouve dans une salle lumineuse, balayée par des courants d’air frais et suaves. Partout des livres, sur les rayonnages le long des murs, sur les tables au centre de la pièce. Lentement elle s’approche de l’une des tables et pose délicatement la main sur la magnifique reliure d’un livre qui semble très ancien. À sa grande surprise, un flot d’informations envahit son esprit.
    Myrin se recueillit quelques minutes pour rendre grâce à la sagesse du tarot. D’un geste décidé, elle rouvrit la cassette en bois, saisit la bague et la passa à son annulaire gauche. L’anneau s’adapta à son doigt et l’enserra. Elle évita de penser au danger qu’il représentait, pour les autres et pour elle.
    La jeune femme n’eut pas le temps de s’appesantir sur les terribles pouvoirs de sa pierre car le marteau de la porte d’entrée venait de retentir. Elle jeta un coup d’œil à l’image du cavalier et se dépêcha de descendre l’escalier pour aller lui ouvrir.
    La présence de Pedro la surprit. Elle le connaissait depuis son enfance et l’appréciait. Qu’il ne soit pas insensible à ses charmes n’était pas pour lui déplaire. Pas besoin d’être une sorcière pour voir le trouble que sa présence éveillait chez cet homme séduisant malgré son âge. Devant la mine anxieuse du maître d’armes, elle comprit qu’il cherchait ses mots pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Elle dit d’une voix ferme :
    — Tchalaï de Luz savait ce qui l’attendait en se rendant à l’Alcazar. Elle avait pris ses précautions et n’a pas souffert. Entrez vite !
    Soulagé, il se faufila dans la boutique, tout en expliquant :
    — Il faut partir. Vous êtes en danger, ainsi que ceux de votre religion. Le Grand
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