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Le Manuscrit de Grenade

Le Manuscrit de Grenade

Titel: Le Manuscrit de Grenade
Autoren: Marianne Leconte
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bûcher. Maigre consolation, cette femme n’aurait pas parlé sous la torture, il en était persuadé.
    La jeune Isabeau aurait-elle compris le message ? Il en doutait, mais regretta de l’avoir envoyée au monastère avant les festivités et la veillée. Sa méfiance avait été la plus forte malgré la promesse qu’il lui avait faite. Il se signa. Ce garçon manqué était une monstruosité de la nature qu’il aurait volontiers confiée aux flammes, s’il avait eu le moindre doute sur la force de sa foi. Le couvent lui enlèverait ses mauvaises habitudes. Pourtant, cette insolente ne risquait-elle point de souiller les demoiselles qui y priaient pour le salut de leurs âmes ? Un fait important lui revint en mémoire : la fille de la sorcière. La lettre lui était destinée. Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ?
    Il frappa dans ses mains. Un moinillon apparut.
    — Va me chercher le commandeur !
    Quelques minutes plus tard, sanglé dans un uniforme, un immense Noir fit son entrée et s’inclina devant lui. La large chemise ceinturée de cuir ne parvenait pas à dissimuler la puissante musculature du guerrier. Bottes et hauts-de-chausses complétaient la tenue des chevaliers de Gregorio que l’on reconnaissait aussi à la grande croix rouge dessinée sur le dos de leur mantel anthracite.
    — Monseigneur a besoin de moi ?
    L’Inquisiteur contempla la face monstrueuse déformée par des scarifications. Nulle obséquiosité chez cet homme à genoux, nulle peur dans les yeux attentifs fixés sur lui. Les mêmes que ceux de l’enfant qu’il avait rencontré trente ans auparavant.
     
    1461, Mistra, capitale du despotat de Morée et dernier bastion chrétien de l’Empire byzantin, est à la merci des Ottomans. Debout aux pieds du trône de Thomas Paléologue, frère du défunt empereur de Constantinople, un négrillon d’environ onze ans dévisage l’ambassadeur officieux de l’Inquisition espagnole. Cheveux crépus, figure horriblement couturée, mais un regard d’une profondeur bouleversante. Un geste maladroit et le garçon distrait renverse une coupe de vin. Par un réflexe puéril qu’il ne s’explique toujours pas, Alonso Jimenez prend le risque d’indisposer le prince en s’intercalant entre son épée et la tête du négrillon. Et réalise que sa stupidité va lui coûter cher. Torquemada, le prieur du couvent de Ségovie, l’a envoyé à Mistra pour y chercher le crâne de l’apôtre saint André afin de le mettre à l’abri en terre catholique. Son élève vient de tout gâcher. À la grande surprise d’Alonso, le Despote, célèbre pour ses colères, sourit. Puis promet de confier à ses bons soins le crâne du martyre. Mais, dans la nuit, le négrillon l’avertit que le Byzantin s’apprête à partir vers le Saint Empire romain germanique avec la relique comme viatique.
    Le dernier Paléologue parviendra à fuir, mais sans son précieux trésor qui repose désormais dans la cathédrale de Ségovie.
    Grâce à ce coup d’éclat, le jeune prêcheur dominicain de vingt ans réalise son rêve : devenir le secrétaire particulier de Torquemada. Jusqu’à ce que son maître soit élu sur le trône de Saint-Pierre en 1481 sous le nom de Tomas 1 er  ; l’année même où les Mamelouks, profitant de la mort du conquérant de Constantinople Mehmet II et de la faiblesse de son successeur Bayezid II, s’emparent du royaume aragonais des Deux-Siciles.
    Peu de temps après le sacre de Tomas, Alonso Jimenez est nommé Grand Inquisiteur d’Andalousie.
     
    Perdu dans ses souvenirs, le prélat se leva pour contempler le grand globe terrestre posé devant la fenêtre de son bureau. Il le fit tourner jusqu’à l’apparition d’une grande botte reconnaissable. Il se pencha sur les anciennes terres d’Italie et de l’index parcourut les contours de la botte pour s’arrêter sur Rome.
    Curieuse destinée que celle de la papauté, pensa-t-il. Le grand schisme de 1378 a coupé l’Europe chrétienne en deux obédiences, celle du pape de Rome et celle du pape d’Avignon, déjà soutenu par la Castille et l’Aragon. Rome l’a emporté en 1417. Pour quelques décennies seulement : en 1483, les Arabes envahissent l’Italie, Avignon redevient le siège de la chrétienté. Grâce à la mort du roi de France Louis XI qui n’aimait guère l’Inquisition, Torquemada a pu créer les États théocratiques de Provence. Ce n’est pas le successeur de Louis XI, le jeune
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