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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie
Autoren: Marie Bourassa
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rompait pas. La vie pouvait être incroyablement, cruellement tenace. Bientôt, il ne resta plus que quelques groupes épars sur la place. De temps en temps, des curieux s’arrêtaient pour jeter un coup d’œil. Guy et Mathurin étaient allés s’installer dans la charrette pour casser la croûte. Seuls le moine, Hugues, Clémence, Desdémone et son garde étaient demeurés avec l’exécuteur pour assister à l’interminable agonie.
    — Louis, appela Firmin entre vêpres et complies.
    Le bourreau, surpris, se leva et s’approcha de son père qui ne l’avait jamais appelé par son nom auparavant. Entre deux spasmes, Firmin parvint à dire :
    — Un coup magistral… Tu m’as bien eu.
    Louis acquiesça. Le moine s’approcha en silence. Malgré les spasmes qui l’arquaient continuellement, le corps ravagé du vieillard fut subitement animé par l’un de ces inexplicables regains d’énergie qui étaient si menteurs, car ils précédaient de peu le trépas. Ses yeux papillonnèrent de Lionel à Louis.
    — Faut que je te dise… Adélie… elle m’aimait pas… Son amour, elle le gardait… pour un autre. J’ai tout perdu. Tout. C’est ta faute. Tu es maudit !
    — Firmin, dit Lionel d’une voix blanche.
    — Les vipères… viennent au monde… en déchirant… le ventre de leur mère. Tu es une vipère. Elle n’en a pas eu d’autres… à cause de toi…
    — Firmin, non, dit Lionel.
    Louis accusa le coup. Une lueur électrique passa dans son regard.
    Firmin ne parla plus. Un tressaillement s’empara de son corps au moment où son visage tournait au gris. La dernière chose qu’il vit de ce monde fut le visage défait de son fils qui se penchait fiévreusement sur lui. Louis s’appuya contre Firmin et parut l’enlacer. Avec sa dague, il pratiqua une petite entaille à la base du cou de l’agonisant, du côté gauche. Il y posa les lèvres et parut embrasser goulûment cette petite blessure. Firmin leva la tête et sentit les mèches presque noires de Louis lui caresser le visage.
    — Que fait-il ? demanda le garde de Desdémone.
    Personne ne lui répondit.
    Louis se redressa, la bouche et le menton barbouillés de sang {187} .
    Clémence s’écroula de nouveau et Lionel chancela. Pour se donner du courage et, peut-être, un sentiment d’utilité, il entonna d’une voix chevrotante le psaume Ayez pitié de moi, Seigneur {188} . Quelques badauds l’accompagnèrent charitablement. Le bourreau joignit à ce chœur modeste une voix étonnamment belle. Trop belle même. Lionel, saisi, s’arrêta pour l’écouter.
    Ce regain d’activité attira de nouveau quelques spectateurs. Sans s’arrêter de chanter, Louis sectionna les liens rougis qui retenaient Firmin à la croix. Il chargea le corps désarticulé sur son dos. Firmin râla faiblement et se vida sur lui, l’éclaboussant de souillures. Le bourreau n’interrompit pas son chant et déposa son fardeau humain au pied du billot. Il étendit Firmin sur le dos et reprit sa dague avant de s’accroupir à ses côtés. Le regard vitreux du mourant erra un peu avant de retrouver son fils. Louis posa sur le front de son père une main large et dit doucement :
    — Je ne fais que reprendre ce que vous m’avez enlevé.
    Sur ce, la dague brilla dans la main serrée et fendit la poitrine de Firmin. Le vieil homme émit un gargouillement et tressaillit une ultime fois. Louis enfonça la main dans l’ouverture et arracha le cœur encore palpitant de son père. Il ne se préoccupa pas du moine qui s’était détourné pour vomir et enveloppa l’organe qui avait la viscosité du sang dans la chemise du mort.
    — Que fait-il ? Cela n’était pas mentionné dans la sentence, dit quelqu’un.
    — Et alors ? Ce mort est le sien.
    Le bourreau installa le défunt à genoux et lui posa la tête sur le billot. Le cadavre fut décapité en deux coups de hache. Louis prit la tête et la brandit devant sa famille et les groupes qui s’étaient reformés.
    — Justice est faite.
    Il laissa tomber la tête et donna un coup de pied dessus. Elle roula en bas de l’échafaud, jusqu’à la charrette où attendaient les deux assistants. Il dit, en la montrant du doigt :
    — Mathurin, tu me planteras ça sur un piquet. Ne la fais pas bouillir. Qu’elle disparaisse au plus vite {189} . Restez ici pour nettoyer. Je m’occupe du corps. Donnez ce que le geôlier a confisqué sur lui à l’Hôtel-Dieu et brûlez le reste. Ne gardez rien. Guy,
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