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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie
Autoren: Marie Bourassa
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lent signe de dénégation.
    — Je les connais tous les deux. Le mort et le vivant, dit-il.
    Ce fut tout. Flamel n’insista pas, mais il comprit le besoin qu’avait eu Lionel de surveiller les faits et gestes du bourreau.
    De longues heures passèrent. Au plus noir de la nuit, alors que le libraire dodelinait de la tête, luttant contre la somnolence, et que Jehanne s’était profondément endormie dans le giron de Lionel, Louis ressortit de la taverne en titubant. Il portait toujours son paquet sous le bras.
    En silence, Lionel se leva et chargea la petite sur son dos. Deux bras chauds lui enserrèrent le cou de façon automatique. Sans vraiment se réveiller, les cuisses soutenues par les bras de son portefaix, l’enfant posa l’oreille sur l’épaule malingre du moine et se laissa ballotter mollement comme une poupée de chiffon. Les deux hommes se remirent à suivre les pas incertains du bourreau.
    La rue Gilles-le-Queux s’était depuis longtemps endormie, du moins en apparence. Louis tituba entre les demeures cossues jusqu’à la boulangerie fermée dont le panonceau, au bout de ses deux chaînettes, grinçait doucement sous la brise. La lanterne était éteinte derrière sa grille, et les volets étaient clos.
    Louis chancela, puis tomba à genoux. Le paquet roula à côté de lui et faillit s’ouvrir. Les doigts crispés de l’homme tirèrent le paquet à lui et en arrachèrent l’étoffe souillée. Des grognements qui tenaient du sanglot s’élevaient de sa gorge. Il se mit à se bercer en émettant de petits gémissements haletants, pathétiques.
    Un hurlement sauvage secoua la torpeur de la rue. Louis pressa contre les pavés usés son front brûlant, à côté du paquet ouvert qui luisait hideusement à la lueur bleutée des étoiles.
    Lionel et Nicolas virent les volets entreclos des maisons avoisinantes frémir d’inquiétude. Jehanne se redressa en frottant du poing ses yeux ensommeillés.
    — Il a très mal, l’homme noir, dit-elle tout bas.
    Les yeux de Louis n’étaient plus que deux charbons tristes, mouillés de pluie, issus des entrailles de la terre. La brise rabattit une mèche sur son visage imbibé de sang et de larmes. Elle y adhéra comme une algue poisseuse. Le corps de l’homme tressautait douloureusement. Mais il ne faisait aucun bruit.
    Éliminer son père avait été son unique quête, sa seule raison de vivre. La destruction de Firmin et tout ce qui y avait mené, y compris sa longue attente, lui apparaissait soudain comme une sorte d’état second, une extase. Mais l’extase est normalement passagère. Celle de Louis avait duré des années ; elle avait investi la totalité de son être. Il s’était entièrement voué et sacrifié à elle.
    Or, Louis découvrait que son fardeau, lui, refusait d’être atteint et annihilé. « Que je sois maudit si j’oublie ! » se dit-il. Véhément, il continuait à s’accrocher à chaque jour, à chaque détail de son passé. Il ne voulait omettre aucune humiliation, aucun coup, aucune parole méprisante, aucun des petits bonheurs qui, tous, lui avaient été arrachés. Et sa haine, toujours intacte, n’avait plus nulle part où s’épancher.
    — Père Lionel. C’est quoi, cette chose, dans le sac ? interrogea la fillette, un sanglot dans la voix.
    Mais le moine ne répondit pas. Il ne se retourna pas. Le vent arracha son capuce. Il demeura pétrifié, cloué sur place.
    Nicolas Flamel s’approcha doucement et dénoua les bras de la petite pour la prendre dans ses bras.
    — Ce que c’est, mon enfant…
    Ses yeux bleus, lucides, brillaient de larmes. Il dit, d’une voix fervente :
    — C’est le désarroi d’un mort. O Seigneur ! Je n’eusse jamais cru voir aussi celui de vivants, qui ont à porter le faix de toute cette rancœur, de toute cette colère.
    Il lui sembla que plus d’un cœur gisait sur les pavés, cette nuit-là. Avec cette étonnante acuité dont sont dotés les tout-petits, Jehanne s’exclama :
    — Il faut soigner l’homme noir, père Lionel ! Sinon, il va mourir !
    — Le père Lionel saura s’occuper de lui, mon enfant. Viens. Allons, viens. Retournons à la maison l’y attendre.
    — Non, je veux rester et le consoler moi aussi.
    Nicolas déposa Jehanne et lui prit la main. Elle ne cessa de se tordre le cou pour regarder en arrière que lorsqu’ils eurent atteint le carrefour. Lionel ne bougea pas.
    Lorsqu’il quitta la rue qui s’était de nouveau assoupie, il avait
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