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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut
Autoren: Juliette Benzoni
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semblait posséder une réserve inépuisable.
    On lui avait tant dit qu’il n’était pas un enfant comme les autres, qu’il en chercha la raison, apprit que cela tenait à ce qu’il n’avait pas de père. Alors, il voulut en savoir plus, harcela Rozenn de questions auxquelles la pauvre femme était bien incapable de répondre.
    — C’était un seigneur, avoua-t-elle un jour, mais je ne sais pas son nom parce que ta mère n’a jamais voulu le dire…
    Avec les années, l’image de ce père dont Rozenn ne lui parlait qu’avec tant de réticences, se mit à hanter l’imagination de Gilles et y prit peu à peu des couleurs brillantes. Peut-être parce que sa mère lui refusait l’amour dont, comme tous les enfants, il avait un besoin vital, il s’attacha davantage à l’absent, refusant de voir en lui un séducteur sans scrupules pour le parer de tout le rayonnement d’un coureur de grande aventure et d’un homme épris de liberté.
    Et ainsi à mesure que grandissait en lui la silhouette de ce père sans visage, se développait un besoin encore aveugle de le rejoindre d’une manière ou d’une autre, par-delà le temps et l’espace, de s’identifier à lui en quelque sorte. Alors, il cessa d’interroger Rozenn, qui n’avait d’ailleurs plus rien à lui apprendre, par crainte obscure d’un trait qui pût abîmer son héros intime. Et il ne répondit plus rien quand, par hasard, sa mère évoquait le temps où il pourrait commencer ses études en théologie.
    Être prêtre ? Il ne l’avait jamais réellement souhaité mais ce soir, en courant à travers la lande piquée de grandes pierres levées comme les sentinelles de pierre d’un royaume mystérieux, il rejeta pour toujours cette idée qui ne lui appartenait pas. Comment offrir librement à Dieu un cœur envahi par l’image impudique d’une petite sirène aux cheveux couleur de feu ?
    Quand il atteignit enfin sa maison, tapie comme un gros chat au creux d’un vallonnement court entouré d’épines blanches, de ronces et de genêts, il hésita un instant, pris d’inquiétude à l’idée de se retrouver en face de sa mère dans la tenue sommaire qui était la sienne. À imaginer le regard glacé dont elle couvrirait sa nudité, il sentit un frisson lui courir le long de l’échine.
    Prudemment, il s’approcha de la petite fenêtre basse qui s’ouvrait comme un gros œil dans la nuit, espérant que Marie-Jeanne serait déjà retirée dans sa chambre, à ses dévotions, étant donné l’heure tardive. En effet, elle ne s’occupait jamais de ce qu’il faisait durant ses vacances et soupait à son heure, sans l’attendre car parfois Gilles passait la nuit en mer, à pêcher avec les fils du pilote Le Mang, les seuls amis qu’il eût jamais au village.
    Collant le nez à la vitre, il vit qu’en effet la salle était vide. Un seul couvert était disposé sur la longue table de chêne ciré et Rozenn, assise sur un banc près de l’âtre, disait son chapelet en somnolant vaguement comme elle en avait l’habitude, piquant parfois du nez sur sa poitrine.
    Il sourit à cette image rassurante, ouvrit la porte tout doucement et se glissa dans la salle sans faire plus de bruit qu’un chat. En trois sauts, il atteignit le grand coffre-banc qui régnait le long de la paroi sculptée où se cachaient les lits-clos, en ouvrit un compartiment, tira une chemise de grosse toile semblable à celle qu’il avait abandonnée, une culotte assortie et les revêtit.
    Puis, regagnant la porte, il ressortit pour effectuer aussitôt une nouvelle entrée, infiniment plus bruyante que la première.
    — Je suis en retard, s’écria-t-il, mais il faisait si beau au bord de la rivière que je n’ai pas vu passer le temps. Pardonne-moi !
    Rozenn sursauta, relevant sur le jeune homme un regard bleu, effaré sous l’accent circonflexe de mousseline accroché à son chignon gris et qui lui tenait lieu de coiffe, à la mode des femmes d’Auray.
    — Ah ! c’est toi ! fit-elle en se levant avec effort. Je crois que je me suis un peu assoupie.
    — Assoupie ? Je crois, moi que tu dormais profondément. Pourquoi n’es-tu pas couchée ? Je suis assez grand pour me servir tout seul, tu sais ?
    Elle hocha la tête, mécontente qu’il remît sur le tapis ce vieux sujet de querelle entre eux deux.
    — Cela ne se fait pas ! Combien de fois faudra-t-il te dire que tu es d’un sang dont les hommes, jamais, ne se sont servis eux-mêmes ? Assieds-toi
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