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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut
Autoren: Juliette Benzoni
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herbe des champs et sans plus de soins.
    — Tu vois, conclut Rozenn en reprenant son tricot mais en laissant peser sur le jeune homme un regard singulier qui le fit rougir, ta jeune fille du château n’a guère plus de chance que toi. Tu n’as pas de père, elle n’a plus de mère, elle est noble mais elle est pauvre comme Job. Tu seras prêtre et elle sera nonne. Inutile d’y penser davantage.
    — Où as-tu pris que j’y pensais ? fit Gilles avec humeur.
    Rozenn ôta ses lunettes, les essuya au coin de son tablier et eut un petit rire sans gaîté.
    — Mon pauvre garçon ! Si tu n’y pensais pas, il y a beau temps que tu m’aurais envoyée promener avec mon histoire en disant qu’elle ne t’intéressait guère. Mais tu m’as écouté tout au long sans rien dire, avec des yeux comme des étoiles. Elle est si jolie que cela ?
    Gilles tourna le dos brusquement et se mit à fourrager dans son épaisse chevelure blond foncé comme s’il y traquait une pensée importune.
    — Oui… je suppose que oui ! Qu’est-ce que cela fait au fond ? Tu dis qu’elle n’est pas mieux partagée que moi mais tu te trompes. Même si son sort n’était pas tracé d’avance, elle ne pourrait jamais rien avoir de commun avec moi car si elle est pauvre elle demeure noble et si elle n’a plus de mère du moins porte-t-elle le nom de son père. Elle est née, elle, régulièrement et moi je ne suis qu’un bâtard. C’est-à-dire rien dans un monde où la naissance représente le seul passeport valable pour une vraie vie. Nous n’en parlerons plus jamais…
    Et, pour ne pas se laisser aller, devant les yeux navrés de Rozenn, au flot d’amertume qui l’envahissait, il s’échappa de la maison et courut la lande jusqu’à la nuit close.
    Pendant les jours de vacances qui lui restaient, avant sa rentrée au collège qui avait lieu après la Toussaint, il ne prononça plus jamais le nom de Judith mais on ne le vit guère à la maison.
    Pourtant, il n’allait plus en mer comme naguère avec les fils Le Mang, il ne pêchait plus dans la rivière. Même les remparts de Port-Louis, la forteresse maritime voisine où il aimait à errer et les quais de L’Orient où il avait plaisir à se rendre parfois pour humer les senteurs fortes des grands navires retour des Indes ne le virent plus. Pendant des heures, il restait assis au bord du Blavet, dans le nid de hautes herbes où il avait, un soir, tiré un corps inerte, regardant couler l’eau changeante sans plus songer à y jeter une ligne.
    Deux ou trois fois, il alla jusqu’à Hennebont, erra longuement sur le sentier tracé entre la rivière et les hauts murs du couvent puis revint à Kervignac sans même une visite à son parrain que, cependant, il aimait de tout son cœur pour son inépuisable bonté et pour l’affection vigilante qu’il lui donnait. Trop vigilante peut-être en pareil cas ! Gilles craignait surtout que le regard perspicace du prêtre n’eût tôt fait de lui extirper son secret.
    Il ne revenait à la maison qu’à la nuit tombée, pour avaler quelque chose et dormir sans avoir prononcé plus de dix paroles. Il était devenu presque aussi taciturne que sa mère, ce dont celle-ci, d’ailleurs, ne s’apercevait même pas, toujours plongée qu’elle était dans d’interminables dévotions, Mais Rozenn se tourmentait pour deux et guettait sur le visage du jeune homme, les progrès d’un mal qu’elle devinait trop bien.
    Un soir, elle retint Marie-Jeanne au moment où elle s’enveloppait de sa mante noire pour aller au salut.
    — Oublie un peu le Ciel et regarde sur la terre, lui dit-elle rudement. Regarde ton fils. Il ne mange plus, ne rit plus, ne parle plus… Ne vois-tu pas qu’il est malheureux ?
    L’étroit visage de cette mère de trente-trois ans qui en paraissait cinquante s’éclaira d’un sourire tandis que les yeux sombres, sous la coiffe de veuve qu’elle portait depuis la naissance de l’enfant, brillèrent d’un feu fanatique.
    — Malheureux ? Parce qu’il a entendu la Voix qui le détourne du monde et de ses futilités ? Tu dis qu’il ne rit plus, qu’il ne parle plus ? Alors, réjouis-toi, folle que tu es, au lieu de gémir. S’il se tait, c’est pour mieux entendre Dieu qui l’appelle. Que son Saint Nom soit béni dans l’éternité ! Laisse-moi, maintenant ! Je suis en retard.
    Et elle s’enfuit, courant presque, sans que Rozenn, découragée, fît un geste pour la retenir ! Quelle folie, en
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