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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut
Autoren: Juliette Benzoni
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lâcherai pas avant.
    — Qu’est-ce que tu leur veux ?
    — Je pourrais te dire que ça ne te regarde pas mais comme tu n’as pas l’air de les aimer beaucoup, je veux bien te renseigner : je viens les tuer, tous les deux ! Et si tu me dis ce que tu sais, je te donnerai une pièce d’argent.
    L’œil intact de la fille, qui était d’un joli vert, étincela d’une joie sauvage.
    — Dis-tu vrai ? Tu veux les tuer ?
    — Sur mon honneur !
    — Alors viens ! Non seulement je vais te répondre, mais encore je vais t’aider ! Je sais comment entrer dans la maison sans passer par la cour où trois hommes veillent continuellement. Il y a aussi un chenil avec des bêtes à te mettre en pièces. Garde ton cheval en bride : je te montrerai où le cacher sans quoi ils te tueront rien que pour pouvoir te le voler.
    Il voulut lui mettre une pièce dans la main, mais elle le repoussa.
    — Garde ton argent, beau cavalier ! Il y a trop longtemps que je rêve de les voir morts ces deux sacs de pourriture ! Regarde, ajouta-t-elle, désignant son œil. Qui crois-tu qui m’a fait ça ?
    — L’un d’eux ?
    — Oui ! Ce cochon de Tudal, l’aîné. Il y a deux ans que je suis sa maîtresse. Sa maîtresse ! ajouta-t-elle avec amertume, je devrais dire son chien, son esclave. Quand il a envie d’une autre fille, il me chasse en me tapant dessus. Tiens, regarde encore ça.
    Et, relevant sa manche, elle montra son bras curieusement déformé par une fracture mal réparée.
    — Dans ce cas, pourquoi reviens-tu ? Deux ans… c’est long.
    — Je ne reviens pas ! C’est lui qui m’envoie chercher. Quand il n’a rien d’autre à se mettre sous la dent, il aime mon corps ! Et malheur à moi si je n’obéis pas ou si je le fais seulement attendre. J’ai une mère impotente au village : il menace de la tuer si je ne viens pas. Quelquefois, il me laisse tranquille un mois ou deux, ça dépend de la fille pour qui il a du goût sur le moment. Cette fois, c’est une gamine qui n’a pas quinze ans qu’on lui a menée hier comme une vache au taureau. Je ne sais pas où il l’a trouvée. Mais tais-toi, nous arrivons…
    En coupant à travers champs sans quitter pourtant l’abri des haies, elle lui fit contourner la propriété, passer au-delà de la mare au frêne, gagner l’abri du bois en franchissant un passage entre deux buissons de houx. Les murs rougeâtres de la maison apparurent tout proches.
    — Tu vas laisser ton cheval ici. Personne ne le verra et je vais te faire entrer par la porte du cellier, chuchota la fille. Au fait, j’ai oublié de te dire : Tudal seul est au logis. Tu n’auras pas beaucoup de peine à le tuer : il a une crise de goutte qui le fait hurler dès qu’il met le pied par terre mais ça ne l’empêche pas de lutiner la fille et de boire comme une éponge.
    Gilles fronça les sourcils.
    — Et Morvan ? Où est-il ? Le compte que j’ai à régler les concerne tous deux.
    — Il est parti ce matin avec deux hommes. Je ne sais pas où mais sûrement pour quelque mauvais coup. Tout ce que je peux te dire c’est qu’il reviendra ce soir. Tu n’auras qu’à l’attendre.
    Gilles attacha Merlin à un arbre, prit ses pistolets dans ses fontes, les passa dans sa ceinture, mit une poire à poudre et des balles dans sa poche et s’assura que son épée jouait bien dans son fourreau.
    — Au fait… comment t’appelles-tu ?
    — Ma mère me dit Corentine, murmura-t-elle, mais les autres m’appellent…
    — Je ne veux pas le savoir… Demain, tu pourras redevenir Corentine pour tout le monde. Allons maintenant !
    Il avait failli l’interroger au sujet de Judith mais une pudeur l’avait retenu : la forme terrifiée de la petite mariée de Trecesson ne pouvait se dresser entre lui et cette malheureuse dont la pureté n’était plus qu’un lointain souvenir. Plus tard, peut-être, quand le sang des Saint-Mélaine aurait lavé leur bauge…
    Guidé par Corentine, il franchit de nouveau les barrières de houx, se glissa vers une porte très basse qui s’ouvrait au fond d’une sorte de fossé à sec dans lequel tous deux se laissèrent glisser. La fille ouvrit cette porte avec assez de précautions pour qu’elle ne grinçât pas. Une horrible odeur de vin ranci et de fruits pourris leur sauta aux narines et ils se retrouvèrent dans un cellier qui, en dehors de deux barriques de taille respectable, semblait contenir plus de bouteilles cassées que de
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