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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut
Autoren: Juliette Benzoni
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sœur que tu as ignoblement assassinée.
    Derrière lui, Gilles entendit le petit hoquet de stupeur de Corentine, un hoquet qui se changea en hurlement.
    — Attention !…
    Du coin où se tenait Yann-Tête-de-Buis, un couteau lancé d’une main sûre jaillit, sifflant comme une vipère. D’un mouvement de tête involontaire, Gilles l’évita mais il lui érafla la joue au passage. Sa réaction fut immédiate : l’un des pistolets cracha et l’homme au biniou se plia en deux tandis qu’un flot de sang jaillissait de sa bouche.
    — Un ! remarqua Gilles froidement.
    De ses gros yeux mornes, Tudal avait regardé mourir son lieutenant avec une sorte d’hébétude, due sans doute à l’alcool qu’il avait ingurgité. Mais soudain, fou de rage, il se pencha vers la table pour saisir le pistolet dont la crosse dépassait. Corentine fut plus rapide que lui. Glissant comme un serpent entre la table et le fauteuil elle saisit l’arme et disparut sous l’épaisse planche de chêne.
    Tudal jura comme un forcené. Ainsi désarmé, il avait l’air, au fond de son fauteuil, d’un sanglier acculé.
    — Putain ! Ordure ! Tu me paieras ça, ma fille ! Ta mère en crèvera !
    — Tu n’auras pas le temps ! fit Gilles froidement. Corentine, ferme-moi ces portes et barricade-les bien afin que les fidèles sujets de ce gros porc ne viennent pas à son secours. Quant à toi, la danseuse en sabots, tu peux te rhabiller ! Tu es trop jeune pour ce genre d’exhibition. Au fait, pourquoi pleures-tu ?
    — J’ai… j’ai froid ! Et j’ai faim aussi ! Il n’a… rien voulu me donner depuis hier.
    — Justement ! remets tes habits et mange ! Il doit bien rester quelque chose là-dessus.
    Tandis que Corentine, avec une force insoupçonnée, tirait un bahut devant l’une des portes et poussait les gros verrous de celle donnant sur la cour, Tudal la regardait d’un œil mauvais. Mais le choc qu’il venait d’éprouver l’avait dégrisé et il ricana.
    — Vous pouvez toujours vous barricader. Faudra pouvoir sortir d’ici tout à l’heure ! J’ai trois hommes encore dehors et des chiens et mon frère qui va revenir avec d’autres.
    — On s’occupera de lui après. À nous deux, maintenant. Je t’ai dit que j’avais des questions à te poser.
    — À quel titre ? Je ne te connais pas ! Qui es-tu ?
    — Mon nom est Gilles de Tournemine, seigneur de la Hunaudaye ! Quant à la raison qui m’amène : J’aimais Judith… et elle m’aimait !
    Des coups violents frappés à la porte lui coupèrent la parole. Les valets de Saint-Mélaine venaient au secours de leur maître. Le coup de pistolet avait dû les attirer.
    — Moins de bruit, vous autres ! cria Gilles en breton. Je tiens votre maître au bout de mon pistolet. Si vous ne vous tenez pas tranquilles, je l’abats tout de suite.
    Le bruit cessa instantanément. On n’entendit plus que le crépitement du feu et les mâchoires de la gamine qui lapait un reste de salmis à même le plat.
    — Jamais entendu parler de toi ! grogna Tudal. D’où sors-tu ?
    — D’Amérique où j’ai pu voir comment se comportait ton frère ! Mais après tout ça ne te regarde pas. C’est moi qui pose les questions.
    — Ça va ! Pose toujours, si ça t’amuse mais quelque chose me dit que moi ça ne m’amusera pas de répondre.
    — Nous verrons bien. Tu as obligé Mme de La Bourdonnaye à te rendre Judith sous prétexte de la marier avec un vieux bonhomme très riche. Alors explique-moi un peu comment il se fait qu’au soir de ses noces, tu aies jugé bon de l’assassiner ?… Assassiner ? le mot ne suffit même pas pour décrire l’horreur de ton forfait ; car tu l’as enterrée vivante, n’est-ce pas, toute vivante au fond de la terre noire, avec sa robe de mariée pour linceul. Je veux savoir pourquoi.
    Le rouquin se mit à rire, découvrant une dentition qui eût été belle sans les ravages de la carie. Sous ses sourcils rouges, ses yeux couleur de granit brillaient d’une joie mauvaise.
    — Alors tu t’imagines qu’on peut s’amener comme ça chez les gens, tirer des coups de pistolet de tous les côtés et après ça jouer les redresseurs de torts, les juges…
    — Et même les bourreaux ! Tu parles ?
    — Va te faire…
    — Parfait !
    Remettant calmement à sa ceinture le pistolet qui n’avait pas encore servi, Gilles tendit l’autre à Corentine avec le sac de balles et la poire à poudre.
    — Tu sais
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