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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
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tranchée, ils s'essuient la figure avec leurs mouchoirs ou leurs manches. Et je vois Cocon s'approcher de Pépère, avec le sourire, et, oublieux des outrages dont il a couvert sa réputation, tendre la main, cordialement, vers un des bidons de la collection qui gonfle circulairement Pépère d'une manière de ceinture de sauvetage.
    – Qu'est-ce qu'il y a à becqueter ?
    – C'est là, répond évasivement le deuxième homme de corvée.
    L'expérience lui a appris que l'énoncé du menu provoque toujours des désillusions acrimonieuses…
    Et il se met à déblatérer, en haletant encore, sur la longueur et les difficultés du trajet qu'il vient d'accomplir : « Y en a, tout partout, du populo ! c'est un fourbi arabe pour passer. À des moments, faut s'déguiser en feuille de papier à cigarette »… « Ah ! y en a qui disent qu'à la cuistance, on est embusqué ! »… Eh bien, il aimerait cent mille fois mieux, quant à lui, être avec la compagnie dans les tranchées pour la garde et les travaux, que de s'appuyer un pareil métier deux fois par jour pendant la nuit ! Paradis a soulevé les couvercles des bouteillons et inspecté les récipients :
    – Des fayots à l'huile, de la dure, bouillie, et du jus. C'est tout.
    – Nom de Dieu ! Et du pinard ? braille Tulacque. Il ameute les camarades.
    – V'nez voir par ici, eh, vous autres ! Ça, ça dépasse tout ! V'là qu'on s'bombe de pinard !
    Les assoiffés accourent en grimaçant.
    – Ah ! merde alors ! s'écrient ces hommes désillusionnés jusqu'au fond de leurs entrailles.
    – Et ça, qu'est-ce qu'y a dans c'siau-là ? dit l'homme de corvée, toujours rouge et suant, en montrant du pied un seau.
    – Oui, dit Paradis. J'm'ai trompé, y a du pinard.
    – C't'emmanché-là ! fait l'homme de corvée en haussant les épaules et en lui lançant un regard d'indicible mépris. Mets tes lunettes à vache, si tu n'y vois pas clair !
    Il ajoute :
    – Un quart par homme… Un peu moins, peut-être, parce qu'il y a un fourneau qui m'a cogné en passant dans le Boyau du Bois, et il y en a eu eun' goutte e'd'renversée… Ah ! s'empresse-t-il d'ajouter en élevant le ton, si je n'avais pas été chargé, tu parles d'un coup de trottinant qu'il aurait reçu dans le croupion ! Mais il a ripé à la quatrième vitesse, l'animau !
    Et nonobstant cette ferme déclaration, il s'esquive lui-même, rattrapé par les malédictions – pleines d'allusions désobligeantes pour sa sincérité et sa tempérance – que fait naître cet aveu de ration diminuée.
    Cependant, ils se jettent sur la nourriture et mangent, debout, accroupis, à genoux, assis sur un bouteillon ou un havresac tiré du puits où on couche, ou écroulés à même le sol, le dos enfoncé dans la terre, dérangés par les passants, invectivés et invectivant. À part ces quelques injures ou quolibets courants, ils ne disent rien, d'abord occupés tout entiers à avaler, la bouche et le tour de la bouche graisseux comme des culasses.
    Ils sont contents.
    Au premier arrêt des mâchoires, on sert des plaisanteries obscènes. Ils se bousculent tous et criaillent à qui mieux mieux pour placer leur mot. On voit sourire Farfadet, le fragile employé de mairie qui, les premiers temps, se maintenait au milieu de nous, si convenable et aussi si propre qu'il passait pour un étranger ou un convalescent. On voit se dilater et se fendre, sous le nez, la tomate de Lamuse, dont la joie suinte en larmes, s'épanouir et se réépanouir la pivoine rose de Poterloo, se trémousser de liesse les rides du père Blaire, qui s'est levé, pointe la tête en avant et fait gesticuler le bref corps mince qui sert de manche à son énorme moustache tombante, et on aperçoit même s'éclairer le petit faciès plissé et pauvre de Cocon.
    – Sin jus, on va-t-i' pas l'fouaire recauffir ? demande Bécuwe.
    – Avec quoi, en soufflant d'ssus ?
    Bécuwe, qui aime le café chaud, dit :
    – Laissez-mi bric'ler cha. Ch'n'est point n'n'affouaire. Arrangez cheul'ment ilà in ch'tiot foyer et ine grille avec d'fourreaux d'baïonnettes. J'sais où c'qu'y a d'bau. J'allau en fouaire des copeaux avec min couteau assez pour cauffer l'marmite. V's allez vir…
    Il part à la chasse au bois.
    En attendant le caoua, on roule la cigarette, on bourre la pipe.
    On tire les blagues. Quelques-uns ont des blagues en cuir ou en caoutchouc achetées chez le marchand. C'est la minorité. Biquet extrait son tabac d'une
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