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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
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tranchée.
    – Ah ! nom de Dieu, toute cette ville quasi évacuée et qui, en somme, était à nous ! Les maisons, avec les lits…
    – Les armoires !
    – Les caves !
    Lamuse en a les yeux mouillés, la face en bouquet, et le cœur gros.
    – Vous y êtes restés longtemps ? demande Cadilhac, qui est venu depuis, avec le renfort des Auvergnats.
    – Plusieurs mois…
    La conversation, presque éteinte, se ranime en flammes vives, à l'évocation de l'époque d'abondance.
    – On voyait, dit Paradis, comme dans un rêve, des poilus s'couler à l'long et à derrière les piaules, en rentrant au cantonnement, avec des poules autour du cylindre et, sous chaque abattis, un lapin emprunté à un bonhomme ou à une bonne femme qu'on n'avait pas vu, et qu'on n'reverra pas.
    Et on pense au goût lointain du poulet et du lapin.
    – Y avait des choses qu'on payait. L'pognon, i' dansait aussi, va. On était encore aux as, en c'temps-là.
    – C'est des cent mille francs qui ont roulé dans les boutiques.
    – Des millions, oui. C'était toute la journée un gaspillage dont t'as pas une idée d'ssus, une espèce de fête surnaturelle.
    – Crois-moi ou crois-moi pas, dit Blaire à Cadilhac, mais au milieu de tout ça, comme ici et comme partout où c'qu'on passe, ce qu'on avait le moins, c'était le feu. Il fallait courir après, l'trouver, l'gagner, quoi. Ah ! mon vieux, c'qu'on a couru après le feu !…
    – Nous, nous étions dans le cantonnement de la C.H.R. Là, l'cuistot, c'était le grand Martin César. Il était à la hauteur, lui, pour dégoter du bois.
    – Ah ! oui, lui, c'était un as. Y a pas à tortiller du croupion, i' savait y faire !
    – Toujours du feu dans sa cuistance, toujours, ma vieille cloche. Tu rechassais des cuistots qui bagotaient dans les rues en tous sens, en chialant parce qu'ils n'avaient pas d'bois ni d'charbon ; lui, il avait du feu. Quand i' n'avait pas rien, i' disait : « T'occupe pas, j'vas m'démieller. » Et c'était pas long.
    – Il attigeait même, on peut l'dire. La première fois que j'l'ai zévu dans sa cuisine, tu sais avec quoi i' f'sait mijoter la tambouille ? Avec un violon qu'il avait trouvé dans la maison.
    – C'est vache, tout de même, dit Mesnil André. J'sais bien qu'un violon, ça sert pas à grand-chose pour l'utilité, mais, tout d'même…
    – D'autres fois, il s'est servi des queues de billard. Zizi a tout juste pu en grouper une pour se faire une canne. Le reste, au feu. Après, les fauteuils du salon, qui étaient en acajou, y ont passé en douce. I' les zigouillait et les découpait pendant la nuit, parce qu'un gradé aurait pu trouver à redire.
    – Il allait fort, dit Pépin… Nous, on s'est occupé avec un vieux meuble qui nous a fait quinze jours.
    – Pourquoi aussi qu'on n'a rien de rien ? Faut faire la soupe, zéro bois, zéro charbon. Après la distribution, t'es là avec tes croches vides devant l'tas de bidoche, au milieu des copains qui s'fichent de toi en attendant qu'ils t'engueulent. Alors quoi ?
    – C'est l'métier qui veut ça. C'est pas nous.
    – Les officiers ne disaient trop rien quand on chapardait ?
    – I' s'en foutaient eux-mêmes plein la lampe, et comment ! Tu t'rappelles, Desmaisons, le coup du lieutenant Virvin défonçant la porte d'une cave d'un coup de hache ? Même qu'un poilu l'a vu et qu'il lui a donné la porte pour en faire du bois à brûler, à cette fin que l'copain i' n'aille pas ébruéter la chose.
    – Et c'pauv' Saladin, l'officier de ravitaillement : on l'a rencontré entre chien et loup, sortant d'un sous-sol avec deux bouteilles de blanc dans chaque bras, le frère. On aurait dit une nourrice portant quatre lardons. Comme il a été repéré, il a été obligé de redescendre dans la mine aux bouteilles et d'en distribuer à tout le monde. Même que l'caporal Bertrand, qu'a des principes, n'as pas voulu en boire. Ah ! tu t'rappelles, saucisse à pattes !
    – Où c'qu'il est maintenant le cuisinier qui trouvait toujours du feu ? demanda Cadilhac.
    – Il est mort. Une marmite est tombée dans sa marmite. Il n'a rien eu, mais il est tout de même mort d'saisissement quand il a vu son macaroni les jambes en l'air ; un spasme du cœur, qu'a dit le toubi. Il avait l'cœur faible ; i' n'était fort que pour trouver du bois. On l'a enterré proprement. On lui a fait un cercueil avec le parquet d'une chambre ; on a ajusté ensemble les planches avec les clous des
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