Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
Vom Netzwerk:
chaussette dont une ficelle étrangle le haut. La plupart des autres utilisent le sachet à tampon antiasphyxiant, fait d'un tissu imperméable, excellent pour la conservation du perlot ou du fin. Mais il y en a qui ramonent tout bonnement le fond de leur poche de capote.
    Les fumeurs crachent en cercle, juste à l'entrée de la guitoune où loge le gros de la semi-section et inondent d'une salive jaunie par la nicotine la place où l'on pose les mains et les genoux quand on s'aplatit pour entrer ou sortir.
    Mais qui s'aperçoit de ce détail ?
    Voici qu'on parle denrées, à propos d'une lettre de la femme de Marthereau.
    – La mère Marthereau m'a écrit, dit Marthereau. Le cochon gras, tout vif, vous ne savez pas combien i'vaut chez nous, m'tenant.
    …La question économique a dégénéré soudain en une violente dispute entre Pépin et Tulacque.
    Les vocables les plus définitifs ont été échangés, puis :
    – Je m'fous pas mal de c'que tu dis ou d'c'que tu n'dis pas. La ferme !
    – J'la fermerai si j'veux, saleté !
    – Un trois kilos te la fermerait vite !
    – Non, mais chez qui ?
    – Viens-y voir, mais viens-y donc !
    Ils écument et grincent et s'avancent l'un vers l'autre. Tulacque étreint sa hache préhistorique et ses yeux louches lancent deux éclairs. L'autre, blême, l'œil verdâtre, la face voyou, pense visiblement à son couteau.
    Lamuse interpose sa main pacifique grosse comme une tête d'enfant et sa face tapissée de sang, entre ces deux hommes qui s'empoignent du regard et se déchirent en paroles.
    – Allons, allons, vous n'allez pas vous abîmer. Ce s'rait dommage !
    Les autres interviennent aussi et on sépare les adversaires. Ils continuent à se jeter, à travers les camarades, des regards féroces.
    Pépin mâche des restants d'injures avec un accent fielleux et frémissant :
    – L'apache, la frappe, le crapulard ! Mais, attends, me revaudra ça !
    De son côté, Tulacque confie au poilu qui est à côté de lui :
    – C'morpion-là ! Non, mais tu l'as vu ! Tu sais, y a pas à dire : ici on fréquente un tas d'individus qu'on sait pas qui c'est. On s'connaît et pourtant on s'connait pas. Mais ç'ui-là, s'il a voulu zouaviller, il est tombé sur le manche. Minute : je le démolirai bien un de ces jours, tu voiras.
    Pendant que les conversations reprennent et couvrent les derniers doubles échos de l'altercation :
    – Tous les jours, alors ! me dit Paradis. Hier, c'était Plaisance qui voulait à toute force fout' sur la gueule à Fumex à propos de je n'sais quoi, une affaire de pilules d'opium, j'pense. Pis c'est l'un, pis c'est l'autre, qui parle de s'crever. C'est-i' qu'on devient pareil à des bêtes, à force de leur ressembler ?
    – C'est pas sérieux, ces hommes-là, constate Lamuse, c'est des gosses.
    – Ben sûr, pis que c'est des hommes.
    La journée s'avance. Un peu plus de lumière a filtré des brumes qui enveloppent la terre. Mais le temps est resté couvert, et voilà qu'il se résout en eau. La vapeur d'eau s'effiloche et descend. Il bruine. Le vent ramène sur nous son grand vide mouillé, avec une lenteur désespérante. Le brouillard et les gouttes empâtent et ternissent tout : jusqu'à l'andrinople tendue sur les joues de Lamuse, jusqu'à l'écorce d'orange dont Tulacque est caparaçonné, et l'eau éteint au fond de nous la joie dense dont le repas nous a remplis. L'espace s'est rapetissé. Sur la terre, champ de mort, se juxtapose étroitement le champ de tristesse du ciel.
    On est là, implantés, oisifs. Ce sera dur, aujourd'hui, de venir à bout de la journée, de se débarrasser de l'après-midi. On grelotte, on est mal ; on change de place sur place, comme un bétail parqué.
    Cocon explique à son voisin la disposition de l'enchevêtrement de nos tranchées. Il a vu un plan directeur et il a fait des calculs. Il y a dans le secteur du régiment quinze lignes de tranchées françaises, les unes abandonnées, envahies par l'herbe et quasi nivelées, les autres entretenues à vif et hérissées d'hommes. Ces parallèles sont réunies par des boyaux innombrables qui tournent et font des crochets comme de vieilles rues. Le réseau est plus compact encore que nous le croyons, nous qui vivons dedans. Sur les vingt-cinq kilomètres de largeur qui forment le front de l'armée, il faut compter mille kilomètres de lignes creuses : tranchées, boyaux, sapes. Et l'armée française a dix armées. Il y a donc, du côté
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher