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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
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s'empressait, revêtu d'une blouse noire, les mains plombées et brillantes, derrière les comptoirs d'une quincaillerie, et que Bécuwe Adolphe et Poterloo, dès l'aube, traînant la pauvre étoile de leur lampe, hantaient les charbonnages du Nord.
    Et il y en a d'autres dont on ne se rappelle jamais le métier et qu'on confond les uns avec les autres, et les bricoleurs de campagne qui colportaient dix métiers à la fois dans leur bissac, sans compter l'équivoque Pépin qui ne devait pas en avoir du tout : (ce qu'on sait c'est qu'il y a trois mois, au dépôt, après sa convalescence, il s'est marié… pour toucher l'allocation des femmes de mobilisés…)
    Pas de profession libérale parmi ceux qui m'entourent. Des instituteurs sont sous-officiers à la compagnie ou infirmiers. Dans le régiment, un frère mariste est sergent au service de santé ; un ténor, cycliste du major ; un avocat, secrétaire du colonel ; un rentier, caporal d'ordinaire à la Compagnie Hors Rang. Ici, rien de tout cela. Nous sommes des soldats combattants, nous autres, et il n'y a presque pas d'intellectuels, d'artistes ou de riches qui, pendant cette guerre, auront risqué leurs figures aux créneaux, sinon en passant, ou sous des képis galonnés.
    Oui, c'est vrai, on diffère profondément.
    Mais pourtant on se ressemble.
    Malgré les diversités d'âge, d'origine, de culture, de situation, et de tout ce qui fut, malgré les abîmes qui nous séparaient jadis, nous sommes en grandes lignes les mêmes. À travers la même silhouette grossière, on cache et on montre les mêmes mœurs, les mêmes habitudes, le même caractère simplifié d'hommes revenus à l'état primitif.
    Le même parler, fait d'un mélange d'argots d'atelier et de caserne, et de patois, assaisonné de quelques néologismes, nous amalgame, comme une sauce, à la multitude compacte d'hommes qui, depuis des saisons, vide la France pour s'accumuler au Nord-Est.
    Et puis, ici, attachés ensemble par un destin irrémédiable, emportés malgré nous sur le même rang, par l'immense aventure, on est bien forcé, avec les semaines et les nuits, d'aller se ressemblant. L'étroitesse terrible de la vie commune nous serre, nous adapte, nous efface les uns dans les autres. C'est une espèce de contagion fatale. Si bien qu'un soldat apparaît pareil à un autre sans qu'il soit nécessaire, pour voir cette similitude, de les regarder de loin, aux distances où nous ne sommes que des grains de la poussière qui roule dans la plaine.
    On attend. On se fatigue d'être assis : on se lève. Les articulations s'étirent avec des crissements de bois qui joue et de vieux gonds : l'humidité rouille les hommes comme les fusils, plus lentement mais plus à fond. Et on recommence, autrement, à attendre.
    On attend toujours, dans l'état de guerre. On est devenu des machines à attendre.
    Pour le moment, c'est la soupe qu'on attend. Après, ce seront les lettres. Mais chaque chose en son temps : lorsqu'on aura fini avec la soupe, on songera aux lettres. Ensuite, on se mettra à attendre autre chose.
    La faim et la soif sont des instincts intenses qui agissent puissamment sur l'esprit de mes compagnons. Comme la soupe tarde, ils commencent à se plaindre et à s'irriter. Le besoin de la nourriture et de boisson leur sort de la bouche en grognements :
    – V'là huit plombes. Tout d'même, cette croûte, qu'est-ce qu'elle fout, qu'elle radine pas ?
    – Justement, moi qui ai la dent depuis hier midi, rechigne Lamuse, dont l'œil est humide de désir et dont les joues présentent de gros coups de badigeon de la couleur du vin.
    Le mécontentement s'aigrit de minute en minute :
    – Plumet a dû s'envoyer dans l'entonnoir mon bidon d'réglisse qu'i' d'vait m'apporter, et d'autres avec, et il est tombé saoul qué'qu'part par là.
    – C'est sûr et certain, appuie Marthereau.
    – Ah ! les malfaisants, les vermines, que ces hommes de corvée ! beugle Tirloir. Quelle race dégoûtante ! Tous, becs-salés et cossards ! Ils se les roulent toute la journée à l'arrière, et ils ne sont pas fichus de monter à l'heure. Ah ! si j'étais le maître, ce que je les ferais venir aux tranchées à la place de nous, et il faudrait qu'ils bossent ! D'abord, je dirais : chacun dans la section sera graisseux et soupier à tour de rôle. Ceux qui veulent, bien entendu… et alors…
    – Moi, j'suis sûr, crie Cocon, que c'est c'cochon de Pépère qui met les autres en retard. Il le
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