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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
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français, environ dix mille kilomètres de tranchées et autant du côté allemand… Et le front français n'est à peu près que la huitième partie du front de la guerre sur la surface du monde.
    Ainsi parle Cocon, qui conclut en s'adressant à son voisin :
    – Dans tout ça, tu vois ce qu'on est, nous autres…
    Le pauvre Barque – face anémique d'enfant des faubourgs que souligne un bouc de poils roux, et que ponctue, comme une apostrophe, sa mèche de cheveux – baisse la tête :
    – C'est vrai, quand on y pense, qu'un soldat – ou même plusieurs soldats – ce n'est rien, c'est moins que rien dans la multitude, et alors on se trouve tout perdu, noyé, comme quelques gouttes de sang qu'on est, parmi ce déluge d'hommes et de choses.
    Barque soupire et se tait – et, à la faveur de l'arrêt de ce colloque, on entend résonner un morceau d'histoire racontée à demi-voix :
    – Il était v'nu avec deux chevaux. Pssiii… un obus. I n'lui reste plus qu'un chevau…
    – On s'embête, dit Volpatte.
    – On tient ! ronchonne Barque.
    – Faut bien, dit Paradis.
    – Pourquoi ? interroge Marthereau, sans conviction.
    – Y a pas besoin d'raison, pis qu'il le faut.
    – Y a pas d'raison, affirme Lamuse.
    – Si, y en a, dit Cocon. C'est… Y en a plusieurs, plutôt.
    – La ferme ! C'est bien mieux qu'y en aye pas, pis qu'i' faut t'nir.
    – Tout d'même, fait sourdement Blaire, qui ne perd jamais une occasion de réciter cette phrase, tout d'même, i's veul'nt not' peau !
    – Au commencement, dit Tirette, j'pensais à un tas d'choses, j'réfléchissais, j'calculais ; maintenant, j'pense plus.
    – Moi non plus.
    – Moi non plus.
    – Moi, j'ai jamais essayé.
    – T'es pas si bête que t'en as l'air, bec de puce, dit Mesnil André de sa voix aiguë et gouailleuse.
    L'autre, obscurément flatté, complète son idée :
    – D'abord, tu peux rien savoir de rien.
    – On n'a besoin de savoir qu'une chose, et cette seule chose, c'est que les Boches sont chez nous, enracinés, et qu'il ne faut pas qu'ils passent et qu'il faut même qu'ils les mettent un jour ou l'autre – le plus tôt possible, dit le caporal Bertrand.
    – Oui, oui, faut qu'ils en jouent un air : y a pas d'erreur ; autrement, quoi ? C'est pas la peine de se fatiguer le ciboulot à penser à aut' chose. Seul'ment, c'est long.
    – Ah ! bougre de bagasse ! exclame Fouillade, eunn peu !
    – Moi, dit Barque, je ne rouspète plus. Au commencement, je rouspétais contre tout le monde, contre ceux de l'arrière, contre les civils, contre l'habitant, contre les embusqués. Oui, j'rouspétais, mais c'était au commencement de la guerre, j'étais jeune. Maint'nant, j'prends mieux les choses.
    – Y a qu'une façon de les prendre : comme elles viennent !
    – Pardi ! Autrement tu deviendrais fou. On est déjà assez dingo comme ça, pas, Firmin ?
    Volpatte fait oui de la tête, profondément convaincu, crache, puis contemple son crachat d'un œil fixe et absorbé.
    – Tu parles, appuie Barque.
    – Ici, faut pas chercher loin devant toi. Faut vivre au jour le jour, heure par heure même, si tu peux.
    – Pour sûr, face de noix. Faut faire ce qu'on nous dit de faire, en attendant qu'on nous dise de nous en aller.
    – Et voilà, bâille Mesnil Joseph.
    Les faces cuites, tannées, incrustées de poussière, opinent, se taisent. Évidemment, c'est là l'idée de ces hommes qui ont, il y a un an et demi, quitté tous les coins du pays pour se masser sur la frontière : renoncement à comprendre, et renoncement à être soi-même ; espérance de ne pas mourir et lutte pour vivre le mieux possible.
    – Faut faire ce qu'on doit, oui, mais faut s'démerder, dit Barque, qui, lentement, de long en large, triture la boue.
    – Il l'faut, souligne Tulacque. Si tu t'démerdes pas, on l'fera pas pour toi, t'en fais pas !
    – I' n'est pas encore fondu, c'ui qui s'occupera de l'autre.
    – Chacun pour soi, à la guerre !
    – Videmment, videmment.
    Un silence. Puis, du fond de leur dénuement, ces hommes évoquent des images savoureuses.
    – Tout ça, reprend Barque, ça n'vaut pas la bonne vie qu'on a eue, un temps, à Soissons.
    – Ah ! foutre !
    Un reflet de paradis perdu illumine les yeux et, semble-t-il, les trognes, déjà attisées par le froid.
    – Tu parles d'un louba, soupire Tirloir, qui s'arrête, pensivement, de se gratter, et regarde au loin, à travers la terre de la
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