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Le Dernier Maquisard

Titel: Le Dernier Maquisard
Autoren: Alain Pecunia
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si
souvent.
    Pourtant, il y a une stèle près du pont avec le nom des quatorze
camarades disparus dans la journée. Plus celui du vieux tué à sa
fenêtre. « Victimes de la barbarie nazie », etc.
    Mais, la Libération, ici, on la fête le 17 août, pas le 15.
    En 1945, lors de la première commémoration, nous n’étions plus
que quatre. Le « capitaine », Émile, Louis et moi.
    Les deux Espagnols, eux, qui nous avaient quittés début
septembre pour rejoindre la lutte des maquis antifranquistes et
libérer l’Espagne de son dictateur, y avaient trouvé la mort peu de
temps après leur retour.
    On les aimait bien. Manuel et José étaient, avec Émile, les plus
expérimentés de nous tous. L’un était communiste et l’autre
anarchiste. Ils ne cessaient de s’accuser mutuellement de la
défaite du camp républicain. Mais c’était en espagnol et, si chacun
de nous comprenait que c’était un échange « vif », nul
n’en saisissait le détail. Excepté le « lieutenant »
Émile, qui avait participé aux Brigades internationales et leur
demandait parfois de mettre une sourdine en poussant un grand coup
de gueule en espagnol. Toutefois, au combat, ils étaient soudés
comme les deux doigts de la main.
    Quant à Riton, qui avait choisi de s’engager dans un régiment
FFI en septembre 44, il avait été tué en Alsace.
     
     
    Aujourd’hui, mardi 17 août 2004, nous ne serons que deux. Et je
dois faire le porte-drapeau.
    « Tu leur dois au moins ça. »
     
     
     
     
    3
     
     
     
     
     
     
     
    À sept heures tapantes, Georges toqua à ma porte alors que je
terminais d’enfiler mon pantalon chino avec lequel j’avais voyagé
la veille.
    – Entre ! lui dis-je.
    Il me regarda avec étonnement.
    – Tu ne vas pas y aller comme ça ?
    Lui, il était déjà en costard mais il n’avait pas encore passé
sa cravate et son bouton de col était quand même ouvert.
    – Non, mais je préfère passer mon costume après le déjeuner. Et
puis nous avons le temps, la cérémonie n’est qu’à onze heures.
    – Oui, mais il faudra être à la sous-préfecture avant dix
heures. Cette année, ils ont mis le paquet pour le soixantième
anniversaire.
    J’accompagnai Georges jusqu’à sa cuisine. Une cuisine de
veuf.
    Sans me demander mon avis, il me servit un bol de chicorée.
    – Je bois jamais de café et j’en ai pas. Mais c’est meilleur et
sers-toi, dit-il en désignant le pain de campagne tranché, le
beurre, le pot de gelée de mûres et la terrine de pâté de
lapin.
    Il m’interrogea sur mon divorce l’année précédente.
    – C’est quand même con de divorcer à ton âge !
    J’avais pas envie de lui expliquer que c’était elle qui avait
demandé le divorce et que je n’avais pas eu le choix. J’avais
d’ailleurs dit la même chose à ma femme quand elle m’avait annoncé
sa décision. « C’est quand même con de divorcer à notre
âge. »
    Mais, en fait, il s’en foutait. C’était un prétexte pour parler
de sa Ginette. Cinquante ans de vie commune, deux mômes et cinq
petits-enfants.
    Ginette, en 44, elle avait dix-huit ans, un an de moins que moi,
et servait de secrétaire-estafette au maquis.
    Il l’avait épousée à la Libération. Lui était instit et elle
devint secrétaire à la sous-préfecture. Tous deux au Parti et aussi
durs et purs l’un que l’autre. De vrais « stals »
sincères. Le Parti avait été l’alpha et l’oméga de leur vie.
    Je n’avais pas à lui demander s’il regrettait quoi que soit.
J’étais sûr de la réponse. Malgré l’effondrement de la
« patrie du socialisme ».
    – Alors, et mon bouquin sur la Résistance dans le département,
tu l’as lu, au moins ? me demanda-t-il en sautant du coq à
l’âne.
    Mais c’était Ginette qui lui avait tapé le manuscrit l’année de
sa mort. Alors il y avait une logique.
    – Bien sûr que je l’ai lu.
    – Ah ! quand même ! Parce que, tu sais, s’il se vend
bien dans la région, je ne suis pas sûr que tous ceux qui
l’achètent le lisent.
    – Moi, je l’ai lu. Je te l’assure.
    En fait, je n’avais fait que le feuilleter
    Il se resservit un demi-bol de chicorée et je lui fis signe que
ça allait pour moi.
    Il prit son bol à deux mains, coudes appuyés sur la table et me
considéra un moment tout en soufflant sur le liquide.
    Au maquis, il lui arrivait de sonder l’un ou l’autre d’entre
nous avec ce regard-là. Et ça foutait toujours mal à l’aise.
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