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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche
Autoren: Arlette Cousture
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Ovila à fuir,
de son départ précipité à elle. Elle prit conscience qu’elle avait des sanglots
dans la voix et des larmes dans les yeux mais elle les refoula. Elle n’allait
quand même pas pousser le ridicule jusqu’à pleurer devant quelqu’un !
Tantôt le curé la regardait bien en face, tantôt, devant son trouble, il détournait
le regard, visiblement mal à l’aise, lui aussi. Pourtant, il l’interrompit.
    – Cessez, Émilie. Vous savez aussi bien
que moi que, dans notre belle religion, l’eau a toujours eu des effets de
purification. Laissez donc l’eau de votre corps purifier votre âme troublée.
    Émilie renifla à deux reprises. Au lieu de la
calmer, le curé venait d’attiser une colère qui grondait depuis longtemps.
    – Dans notre belle nature ,
monsieur le curé, si on se coupe, on peut saigner à mort. Si on brise une digue
de castor, l’eau arrête plus de couler. Quand une femme perd ses eaux, elle
peut plus empêcher la souffrance de la naissance. Quand les nuages crèvent, la
pluie peut pas faire autrement que de tomber. Ça fait que, monsieur le curé,
étant donné que j’ai neuf bouches à nourrir, faut surtout pas que je laisse la
pluie venir faire pourrir mes récoltes !
    Émilie se tut enfin, mal à l’aise. Comment
avait-elle pu s’emporter de cette façon ? Elle rougit. Non, elle
n’apprendrait jamais. Son père le lui avait déjà dit : elle était une effrontée.
Elle se leva rapidement et se dirigea vers un des miroirs, prête à faire des
excuses. Elle vit le reflet du curé.
    – Et si nous revenions à nos oiseaux,
Émilie ? Et si nous donnions une réponse à la question que vous n’avez pas
posée clairement ? Oui, Émilie, vous faites bien d’attendre que votre mari
ait fait ses preuves. Vous seriez irresponsable, et je pèse mes mots,
d’entraîner vos enfants dans une aventure comme celle qu’Ovila vous propose. Je
ne veux pas dire par là que tous ces colons d’Abitibi sont irresponsables. Ce
serait ridicule et ce serait nier l’âme de nos ancêtres. Mais ils ne sont pas
tous comme votre mari. Alors, si vous vouliez connaître mon avis, le voici.
Attendez un peu. Vous l’avez bien dit, vous avez neuf bouches à nourrir. Pour
ce qui est des enfants et de vous, laissez-moi un peu de temps pour réfléchir.
Nous avons tout l’été devant nous, ou presque. Le beau temps est encore là.
Mais j’aime autant vous dire tout de suite de commencer à penser à la sagesse
de votre Blanche. Il se peut que son enseignement vous devienne utile.

3
     
    L’été, pour Émilie, ressembla à ce qu’elle
connut de plus près de l’enfer ; avec un ciel sans cesse accroché au
clocher ; des nuits longues et noires, sans lune. Émilie n’eut pas
vraiment de raisons pour justifier la bonne humeur qu’elle affichait toujours
devant ses enfants et sa belle-famille. En fait, malgré elle, elle faisait
suivre ses nuits d’insomnies de journées de rêveries, durant lesquelles elle
obligeait son cœur à battre en le rythmant sur ses souvenirs de jours
meilleurs. Quant à ses nuits agitées d’un sommeil troublé, elle les effaçait
par des journées empreintes d’une excitation qu’elle essayait de transmettre
aux enfants en leur trouvant dix mille activités : faire des gâteaux, des
petits travaux sur la maison d’Alma, des emplettes et une visite quotidienne
chez le maître postier. Pour consoler les enfants du mutisme de l’Abitibi, elle
inventait des diversions : gâteries pour le premier rentré, prix de
consolation pour le dernier – presque toujours la petite Alice. Ses aînés
n’étaient jamais dupes, surtout Marie-Ange qui trouvait que sa mère faisait
cuire beaucoup d’oignons. Émilie, bien à l’abri derrière son sourire, n’eût
jamais cru que ses vraies larmes pouvaient être visibles même noyées dans
celles causées par la chair d’oignon.
    Le silence d’Ovila la troubla, certes, mais,
au fil des jours et des semaines, aux changements de couleurs dans les champs,
devant l’imminence de la rentrée scolaire, elle passa rapidement des larmes à
la colère, teintant au passage ses émotions d’humiliation, de désespoir, de
peur, d’affolement, d’insécurité, mais aussi, de plus en plus fréquemment, de
soulagement.
    L’humeur sombre de cet été 1918 sembla pâlir
devant l’ombre qu’elle voyait poindre à l’horizon de son âme. Bientôt, elle
devrait faire des choix. Des choix terribles : ouvrir les portes de
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