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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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montrai mon calme.
    Il me fallait leur faire croire que j'étais une eau tranquille, que la vase s'était à nouveau déposée au fond, que j'avais réappris la pudeur, que je saurais taire ma douleur, faire silence sur le principe criminel de la vie, que j'allais marcher d'un pas régulier sur la berge sans me souvenir du corps d'Ariane que l'homme avait laissé glisser de sa drague aussi lentement qu'il avait pu.
    A l'instant où je m'éloignais, marchant près de Joëlle, le psychiatre me retint. Je devais m'interdire de jouer avec ma mémoire, avec les idées folles, les projets déraisonnables. Je devais, il me l'avait déjà dit, n'est-ce pas, ne pas tenter l'impossible. J'étais encore fragile. Une nouvelle tempête pouvait se lever. « Soyez concret. Regardez devant vous. Reprenez vos activités. Bornez-vous à commenter les événements comme vous savez le faire. »
    Joëlle avait placé sur la banquette arrière de la voiture les numéros du journal parus durant mon hospitalisation. Je la laissai seule à l'avant et me mis à les feuilleter tandis qu'elle parlait. Au journal, ils espéraient tous mon retour. L'entretien avec Torane avait eu beaucoup de retentissement. Le ministre avait tenu à me rendre hommage. « Lis, lis », répétait-elle.
    Arnaud et Bedaiev, qui me remplaçaient, affirmaient tous deux que j'étais l'âme du journal. Ils m'attendaient. Ils se sentaient orphelins.
    Je n'ai pas lu les lignes que me consacrait Torane, mais j'ai découvert dans la rubrique « Vie culturelle » un long article sur le récital de Léonard Cohen, et ces deux vers d'une de ses dernières chansons : l've seen the future, brother It is a murder.
    Est-il fou, Cohen, comme ils disent que je l'ai été, comme je le suis toujours, peut-être? Quel visage avait-il entrevu pour faire du meurtre notre futur?
    Joëlle se tournait, m'interrogeait.
    Pouvait-on passer tout de suite au journal? J'acquiesçai.
    Il ne fallait pas qu'elle me soupçonne de détenir ce secret, j'étais pareil à un espion qui vit derrière les lignes ennemies et ne doit de survivre qu'à la comédie qu'il joue. J'ai dû parler de mon retour au journal avec entrain, tout en feuilletant le dernier numéro.
    Sur la couverture, j'ai remarqué la photo d'un homme aux cheveux blancs ondulés, au visage mince et bronzé, aux yeux allongés, d'une couleur - si les teintes avaient été respectées par le tirage - oscillant entre le vert et le bleu. J'ai lu en capitales, au-dessous de la photo: CARLO MORANDI, LE CONDOTTIERE. Un article de Joan Finchett.

    8.
    A Dongo, l'homme de la drague m'avait parlé de ce Carlo Morandi dont je pouvais contempler le visage paisible en couverture du journal.
    La voix de Joëlle s'était éloignée. Je ne voyais plus les façades ni les rues. Où étais-je? Je frissonnai.
    Il me semblait que l'on m'engloutissait de nouveau, que je n'avais pas quitté cette chambre où je venais de passer plusieurs semaines, prisonnier de la vase herbeuse du sommeil. J'étais rejoint par ces formes râpeuses et gluantes qui n'avaient cessé de me frôler, s'insinuant entre mes cuisses, le long de mes bras, de ma nuque, de mes joues, glissant entre mes doigts.
    J'avais en vain tenté de m'en échapper en cernant leur origine et leur nature. Parfois, le matin, quand les infirmières me soulevaient, tendaient les draps, changeaient les coussins, j'en étais délivré pour quelques minutes, comme si l'on m'avait extrait de l'eau. Mais on m'y replongeait et je retrouvais à présent ces frôlements jusque dans cette voiture où je ne parvenais plus à quitter des yeux ce portrait, cette bouche, me souvenant à nouveau des gestes de l'homme de la drague.
    Il m'avait parlé du Condottiere. Il avait montré le fond de sa gorge, tirant à deux mains sur ses mâchoires, comme on fait de la gueule des poissons quand on veut extirper l'hameçon qu'ils ont avalé.
    Il avait tendu le bras vers ces formes énormes et noires qui disparaissaient dans les remous du lac.
    J'étais en sueur.
    Joëlle me questionna. Elle me proposa d'arrêter la voiture. Nous pouvions marcher quelques instants, rien ne nous pressait.
    De la main, je la priai de continuer à rouler afin d'échapper au contact de ces écailles, de ces poissons du lac, de ces ogres que je sentais tout contre moi, dans cette voiture, dans cette vie dont plus personne n'était sans doute capable de me sortir, comme si j'avais à mon tour été enfermé derrière un hublot.
    Ils tournaient autour

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