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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière
Autoren: Max Gallo
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silencieux et gênés.
    J'avais été impudique, j'avais clamé ce qu'il faut taire. J'avais mis la mort devant eux, au beau milieu de la pièce. J'avais parlé de crime, puisqu'on l'avait tuée. Et de l'avoir dit à voix haute avait achevé de me persuader qu'en effet on avait assassiné Ariane et qu'il me fallait démasquer ses meurtriers.
    - Vous avez besoin de soins, cher ami, avait dit Torane. Une assistance médicale est indispensable après un tel choc.
    Il avait touché mon épaule et y avait laissé longuement sa main en signe d'amitié et de compréhension.
    J'avais beau deviner ses intentions, je ne ressentais qu'un poids de plus en plus insupportable.
    Je crois que je me suis mis à hurler, à gesticuler, répétant qu'Ariane était morte; puis je me suis à nouveau tassé.
    Ils m'ont traité comme un malade, presque comme un fou. Ils disaient entre eux que je ne pouvais plus raisonner, que le chagrin m'avait aveuglé, que j'avais un comportement chaotique, passant de l'abattement à l'exaltation.
    - Il est devenu imprévisible, confiait Joëlle. Il fait peur. Je ne le reconnais plus.
    Je ne voulais pas reconnaître cet homme qui avait laissé tuer sa fille, qui, durant des années, avait pu accepter de ne pas la voir, de ne pas savoir où elle était, ce qu'elle faisait, les gens qu'elle côtoyait, cet homme qui avait été incapable de trouver les mots et les gestes pour la retenir, se faire comprendre d'elle, cet homme qui avait dilapidé son temps à écrire des articles, à commenter des événements, à analyser des rencontres, G7 ou conférence des ministres à Bruxelles, à présenter des projets, à créer, à défendre des journaux, à être heureux parce que leur tirage augmentait, cet homme qui avait été impuissant à la protéger.
    Je haïssais cet homme-là, moi.
    J'aurais voulu lui arracher la peau, changer de corps et de visage.
    Plus tard, quand j'ai émergé du sommeil, Joëlle me confia qu'aux moments les plus difficiles — « Tu en as eu de terribles, chéri, vraiment! Tu nous as tous effrayés » —, il avait fallu m'attacher les bras. « Tu te griffais le visage, tu voulais te mutiler. Qui sait de quoi tu aurais été capable. »
    A présent j'allais mieux, n'est-ce pas?
    Ils me demandaient de les rassurer. Je devais à nouveau rentrer dans le bal, prendre leurs mains afin de sauter en cadence.
    Les désespérés sont des empêcheurs de danser en rond.
    Un désespoir qui se prolonge est une maladie. Les bien portants oublient. Ceux qui s'obstinent à se souvenir, on les enferme.
    J'ai donc donné le change comme un prisonnier qui se maquille et se travestit pour faire la belle.
    Je souriais, les écoutais en approuvant de la tête.
    Je répondais avec précision aux rares questions du psychiatre. Était-il dupe? Il m'observait, les doigts appuyés à ses lèvres, le plus souvent silencieux. Je résistais autant que je pouvais au désir de combler ce vide entre nous. De parler, se livrer, avouer que je voulais retourner là-bas et draguer toute la vase afin de comprendre pourquoi Ariane s'était retrouvée morte, le corps ligoté d'herbes et d'algues rouies.
    Je me taisais pourtant ou bien parlais de mon enfance, de mon père qui - j'avais à peine une dizaine d'années - nous avait abandonnés, ma mère et moi, pour une jeune femme qui, peu après, s'était suicidée. Ma mère avait refusé de lui rouvrir sa porte, préférant vivre seule, et je n'avais pas été autorisé à le revoir.
    Je savais que cet homme qui se tenait près du portail, le dos appuyé à la façade, bras croisés, qui ne bougeait pas quand nous traversions la rue, c'était lui.
    Quand j'ai pris la décision d'aller à sa rencontre, il n'était plus là.
    Je l'avais manqué.
    - C'est lui qui vous a manqué, murmura le psychiatre.
    Puis, tout en se levant, il ajouta : « Vous voulez tuer le Minotaure? Soyez prudent. »

    7.
    COMMENT ce médecin avait-il su ce que je n'osais m'avouer? Ce désir de tuer comme on avait tué Ariane. Que lui avais-je confié, durant ce long sommeil de plusieurs jours où l'on m'avait plongé à mon entrée en clinique, pour qu'il devine que je jouais avec ces mots interdits : tuer, se tuer, être tué, que j'égrenais comme on fait d'un chapelet? Lui avais-je dit que ces petits mots s'agrippaient à chacune de mes pensées, qu'ils avaient envahi mes rêves et mes cauchemars comme ces plantes sauvages que le vent répand dans les champs ou à la surface de l'eau, et qui bientôt
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