Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix
Autoren: David Camus
Vom Netzwerk:
maintien d’un statu quo que beaucoup
trouvaient salutaire – quand d’autres le condamnaient avec vigueur :
« Si Rome ne se dote pas d’un bras armé suffisamment puissant, jamais la
Terre sainte ne sera reprise, jamais Jérusalem ne redeviendra
chrétienne », clamaient les détracteurs de ce projet.
    En tout cas, il était évident que ce pape-là ne les
recevrait pas. Profitant de l’invitation de Montferrat à le suivre dans sa
tournée des cours européennes, Simon et Cassiopée rejoignirent la France en
passant tout d’abord par le Nord, où Cassiopée avait à faire.
    Le comté de Flandre, où Philippe d’Alsace résidait alors,
dépendait à la fois du roi de France et de l’empereur du Saint Empire romain
germanique. Ils eurent l’occasion d’y voir des villes magnifiques, telles que
Bruges, Arras ou Douai, qui devaient leur richesse au commerce du drap.
L’époque des grandes foires d’automne étant passée, la plupart des rues étaient
vides, les habitants préférant la fumée des auberges aux brumes hivernales.
    Philippe d’Alsace, qui avait chargé Cassiopée de se rendre
Oultremer à la recherche de Morgennes, et à qui elle raconta la fin de ce
dernier, s’affligea de sa disparition et commanda deux stèles de granit,
destinées à être placées à l’entrée du fief de l’Hospitalier. L’inauguration de
ce monument devait avoir lieu au printemps, mais Simon demanda :
    — Pourquoi deux stèles ? Le domaine de Morgennes
a-t-il donc deux entrées ?
    Philippe d’Alsace leur proposa de les y mener. Il leur
sembla pourtant ce matin-là que c’était le faucon qui les guidait en volant
au-dessus d’eux, à la fois protecteur et complice. Le brouillard était tel
qu’ils n’y voyaient rien, aussi fallut-il se repérer aux cris de l’oiselle.
Enfin, lorsque les sabots des chevaux sonnèrent sur des planches de bois, et
que de toute part leur parvint le grondement des eaux d’un fleuve, Philippe
d’Alsace déclara :
    — C’est ici…
    Mettant pied à terre, ils examinèrent l’endroit. Il y avait,
franchissant un fleuve presque entièrement gelé, un pont de bois à piles de pierre,
long d’un peu moins d’un arpent, et suffisamment large pour que deux charrettes
puissent s’y croiser. Bien qu’on eût pu aisément, en temps ordinaire, passer à
gué – les chevaux n’ayant de l’eau qu’à la hauteur des sangles –, le
fleuve connaissait parfois d’étranges débordements quand il pleuvait, devenait
torrent à la fonte des neiges, et se trouvait presque à sec en été. Enfin, son
fond n’était que sable et gravier et comme il n’avait pas été entretenu depuis
longtemps, il était innavigable.
    — Le domaine de Morgennes, soupira Cassiopée… J’ai
l’impression de connaître cet endroit.
    — Il a construit le pont lui-même, dit Philippe
d’Alsace. Avec ses propres mains… C’est de la belle ouvrage, vous ne trouvez
pas ?
    Ils regardèrent le pont. Il paraissait avoir toujours été
là. Ils imaginaient Morgennes plongé dans l’eau glacée et travaillant à bâtir
son pont, pour unir les deux rives… Bien sûr, cette image était un tantinet
ridicule, dans la mesure où il n’avait certainement pas œuvré l’hiver. C’était
pourtant ainsi qu’ils se le représentaient.
    À la douleur et à la peine de Philippe d’Alsace répondirent
une autre douleur, une autre peine, ô combien plus vives. Celles de Chrétien de
Troyes. L’artiste, alors âgé de plus d’une cinquantaine d’années, était dans ces
périodes de la vie où la solitude grandit jusqu’à se faire totale. Quand il
apprit la mort de Morgennes, Chrétien de Troyes tomba gravement malade. Une
forte grippe, crut-on tout d’abord, mais le mal dégénéra, et le litterato mourut à la Noël.
    Il n’avait pas achevé son roman. La dernière parole qu’il
prononça avant de fermer les yeux fut :
    — Perceval !
    Dans son esprit enfiévré, il avait confondu Morgennes et le
héros de son livre, comme si ce dernier était le mort : un personnage de
fiction, et non une personne faite de chair et d’os. Ce qui le rattachait à la
vie s’était éteint de lui-même. Perceval parti, il était temps de mourir.
    Philippe d’Alsace, lui, n’était pas de cet avis. Une
histoire devait vivre, indépendamment de ceux qui l’avaient inspirée, comme de
ceux qui avaient commencé à l’écrire. Il convoqua Cassiopée, et lui dit
gravement :
    — Si vous n’avez pas
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher