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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais
Autoren: Jean-François Parot
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longs mois.
    — La belle affaire si, dans le même temps, nous piétinons dans nos propres tentatives. Enfin les expériences se poursuivent…
    Sartine derechef consulta sa montre. Il en fit claquer le couvercle en la refermant. L'amiral hocha la tête, l'air désapprobateur. La mimique fut aussitôt remarquée.
    — Quelque mauvaise pensée vous traverserait-elle ?
    — Non pas. Mais ces mécanismes sont fragiles. Refermer le couvercle sans presser le ressort finit par le fatiguer. En outre, le claquement ébranle la régularité générale, d'où des retards fâcheux. C'est une pièce de notre ami ? bel objet en vérité !
    — Amiral, quelle science en la matière ! Nous ne sommes point en mer, les sabords ne crachent point. Il n'y a pas de houle qui secoue le bâtiment.
    — Voilà bien résumé notre souci ! Pour en revenir à votre précédent propos, le but de la manœuvre est aussi de combler nos ignorances et, pour ce faire, l'homme de l'art était indispensable dans le dispositif ennemi. Quant à ce soir, remettons notre fortune à la providence.
    —  Et plût à Dieu qu'il fût encore vivant pour défendre du léopard félon l'écu d'azur aux trois fleurs de lys d'or !
    — De qui parlez-vous ?
    Sartine eut son petit rire de crécelle.
    — Notre ami Nicolas m'a servi la formule, il y a peu, en me parlant de Du Guesclin, connétable de France et Breton de surcroît. Depuis elle me bat la mémoire.
    Ils sourirent et se turent dans l'attente des nouvelles.

    Lettre du marquis de Pons, ministre du roi à Berlin, à M. de Vergennes, le 8 février 1777
    Il est certain que j'ai trouvé le Roy de Prusse beaucoup mieux que je ne m'attendais ; il m'a paru cependant vieilli ; on ne peut juger que de la maigreur du visage, les vêtements dont ce prince est surchargé en tout temps empêchent qu'on puisse s'apercevoir de celle du corps. Ses bottes ne permettent pas non plus d'estimer l'état de ses jambes, sa démarche, toujours difficile, m'a paru seulement plus pénible, et la jambe gauche fort traînante.
    On sait d'ailleurs que Sa Majesté prussienne ne peut point encore monter à cheval malgré la petitesse, employée ici comme à Potsdam, de faire venir tous les matins un cheval au pied de l'escalier, pour le ramener à l'écurie une heure après. Les jambes du roi de Prusse sont en mauvais état, c'est un fait constant, mais son tempérament ne paraît point à l'extérieur aussi usé qu'on devrait le croire, après les maladies longues et réitérées qu'il a essuyées depuis deux ans. Chaque fois que j'ai occasion de le voir, je suis surpris de ne pas trouver un dépérissement plus marqué ; il faut pourtant que Sa Majesté prussienne sente en elle-même un affaiblissement réel par la crainte qu'elle semble avoir de s'exposer trop longtemps aux yeux du public. Sa vie devient plus retirée que jamais.
    Ainsi le cercle ne fut pas long mercredi dernier. Sa Majesté y parut assez gaie ; c'était sûrement avec projet, parce qu'elle se doutait bien qu'on l'examinerait avec plus de soin. Le thème principal de sa conversation fut l'histoire de M. d'Eon, sur lequel ce prince me fit beaucoup de questions, tant sur l'incertitude de son sexe que sur sa vie privée, sans néanmoins rien tomber de ses anciennes querelles. Sa Majesté prussienne, après s'être égayée sur ce chapitre, le termina en disant : « Au reste, quoique nous ne soyons plus dans le siècle des métamorphoses, peut-être en est-ce une, la nouveauté serait piquante, et comme la France est en possession de nous fournir les nouveautés, il serait juste que celle-là nous en vînt aussi. » Sa Majesté prussienne parla ensuite des désastres causés en Hollande par les derniers ouragans, et finit par quelques questions à M. de Swieten sur le départ de l'Empereur, sa route et la durée de son prochain voyage en France.
    La rumeur court ici que Sa Majesté prussienne aurait éprouvé au début de l'année une cruelle contrariété qui a occasionné aussitôt maints changements dans son intérieur. De vieux serviteurs ont été chassés sur-le-champ. J'ai cherché à connaître les raisons d'un tel bouleversement chez un prince aussi attaché à la routine de son service. J'ai appris qu'un objet rare et précieux auquel il tenait aurait été dérobé dans ses cabinets intérieurs sans qu'aucun soupçon ne puisse aujourd'hui fournir la moindre lueur sur le quo modo de cet attentat. Voilà un coup bien hardi dont on ne
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