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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais
Autoren: Jean-François Parot
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première impression. Il passa outre et reprit sa réflexion. Les propos entendus dans une taverne du carrefour des Trois Maries, au débouché du Pont-Neuf, lui revenaient à l'esprit. Il avait abandonné sa permanence de commissaire pour se délasser les jambes, profiter du redoux et prendre la température de l'esprit public. Tout en savourant des œufs à la tripe, une salade de bouilli froid, des noix et un pichet de vin de Suresnes, il avait pris langue avec ses voisins, bon enfant et séduisant, à l'aise avec tous et en tous lieux. Il offrit un carafon d'eau-de-vie et quelques prises de tabac qui lui gagnèrent la sympathie des artisans et gagne-deniers présents. Certains craignaient de perdre leur emploi. Nicolas les écoutait plus qu'il ne parlait lui-même, tamisant leurs propos pour n'en conserver que l'essentiel. Il en tira quelques constatations simples. Le roi demeurait populaire, même si l'on doutait de sa fermeté. Il nota le ton de commisération à son encontre. Le nom de la reine suscitait au mieux un silence hostile, au pire des propos graveleux. M. Turgot ne paraissait guère regretté. Necker bénéficiait de ce goût si français de la nouveauté. On plaçait en lui l'espérance d'un changement dont on attendait monts et merveilles. Recoupant le thème des chansons et des pamphlets, il releva l'enthousiasme des cœurs pour la cause des insurgents américains et le regret, sinon la fureur, de voir le royaume ne se point départir d'une pendante expectative et ne pas s'engager plus fermement à leurs côtés contre l'Anglais. Cet intermède rompait la monotonie de la permanence que sa situation particulière lui aurait permis d'éviter. Il ne le souhaitait pas, attaché aux devoirs de sa charge. Marquis de Ranreuil à la cour, et Nicolas Le Floch à la ville, rien ne le convaincrait jamais de privilégier l'un de ses états au détriment de l'autre.
    Quand il parvint au Grand Châtelet par l'apport-Paris, les tréteaux des marchands sur la place déserte se couvraient à nouveau de neige. En haut du grand escalier il aperçut dans son réduit le père Marie endormi, le menton sur sa poitrine. Il sourit en pensant que, par ces temps de frimas, l'huissier abusait volontiers de son fameux cordial. Lui-même frissonnait et il dut ranimer le feu du bureau de permanence. Il s'assit et reprit sa réflexion. Il soupira et son souffle s'exhala par saccades, marque d'un état qu'il connaissait bien. Il savait ce qu'il lui revenait de faire pour dissiper son angoisse. Il devait se livrer à un examen de conscience en règle.

    Depuis le sacre du roi en 1775, son existence suivait un nouveau cours. D'un côté le commissaire Le Floch exerçait son office dans la routine et la régularité de ses attributions. Albert, le lieutenant général de police, substitué à Le Noir après les émeutes des farines 2 , s'était évertué de manière insidieuse à le pousser à la faute ou au retrait. Ces tentatives s'étaient heurtées au mur d'indifférence d'un homme qu'une précédente disgrâce avait bronzé à cet égard. À chaque avanie il opposait le mépris de celui qui savait, le passé le lui avait démontré, que rien d'insupportable ne perdurait que le temps ne vînt un jour régler. Aussi le commissaire exerçait-il et obéissait-il sans états d'âme. Il apposait les scellés lors des inventaires après décès, partageait les biens des mineurs, percevait la taxe des dépenses de justice et la liquidation des dommages et intérêts. De ces attributions civiles, le risque n'était d'ailleurs pas toujours exempt. Le peuple murmurait et accusait les commissaires de recevoir des avantages accessoires, «  à la fois la chair, le poisson, l'huile et l'eau  ». Quelle que fût l'administration procédurière d'Albert, la gestion du commissaire Le Floch apparaissait d'une telle limpidité qu'elle décourageait les affidés du lieutenant général chargés de la contrôler et de le perdre et qu'elle désespérait un homme persuadé d'atteindre de grands emplois tout en ne négligeant pas de se faire une réputation dans les petits. Ces médiocres combinaisons auxquelles s'abandonnaient certains de ses confrères emplissaient Nicolas d'une colère sourde, comme une insulte à tout ce qu'il croyait.
    Longtemps insoucieux de sa situation matérielle, il avait été conduit depuis quelque temps à y prêter attention. Il recevait chaque année dix-huit mille livres d'honoraires auxquels s'ajoutaient douze
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