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Le cadavre Anglais

Le cadavre Anglais

Titel: Le cadavre Anglais
Autoren: Jean-François Parot
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saurait tarder à découvrir l'auteur. J'aurai l'honneur de vous informer de ce que je pourrais recueillir à cet égard.

I
    FORT-L'ÉVÊQUE
    Il est toujours égal au milieu de tous les malheurs et de tous les bonheurs du monde.
    Chifflet

    Soirée du samedi 8 février 1777
    Les mains dans son manchon, Nicolas Le Floch longeait à petits pas prudents les façades de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Il s'agissait, à la fois, d'éviter les plaques de glace fragilisées par un redoux momentané et se garder des farces et turlupinades de la chienlit des masques, toujours prompte à jeter sur le chaland eaux grasses, boues et ordures. Il avait hâte de sortir de la période du carnaval, Dieu merci le carême approchait et la sérénité reviendrait. De sa vie, il n'avait aimé ce moment. La soudure entre deux années le plongeait toujours dans l'angoisse. Elle ranimait des souvenirs cruels, son retour de Guérande seize ans auparavant après la mort du chanoine son tuteur, le soir de la disparition du commissaire Lardin. Elle rameutait également les images terribles, ancrées dans sa mémoire, de la mort de Mme de Lastérieux, sa maîtresse assassinée. Ce soir-là aussi il errait dans la ville, égaré et malheureux, pataugeant dans la fange. Il jura, son pied venait de glisser dans une flaque. Surpris, il remarqua que plusieurs réverbères, installés naguère d'ordre de M. de Sartine, étaient éteints dans la portion de la rue longeant la prison du Fort-l'Évêque. Il signalerait demain la chose au bureau de police compétent pour l'éclairage des voies, rue Michodière. Peu avant le carrefour avec la rue Thibaulardi, un riche équipage au pas le dépassa. Il se colla à la muraille, craignant un éclaboussement général qui le souillerait de la tête aux pieds. Au passage, une main gantée essuya la buée de la glace et un visage maquillé à l'excès s'y appuya, fixant Nicolas. Homme ou femme, face vraie ou faux masque ? Le commissaire ne démêla point la chose, tout en ayant l'impression du déjà vu. Il appuya sur le bouton de sa montre qui sonna onze coups.
    Il constatait le calme des rues sans vraiment s'en étonner. Le carnaval ne revêtait pas l'éclat et le tumulte accoutumés. Il languissait par un défaut général de disposition à la gaieté. Il était vrai que la misère submergeait Paris. Des étés aux récoltes gâchées, de rudes hivers, l'accumulation prolongée des neiges et des glaces, tout contribuait à cet état. Partout on devait multiplier les battues aux loups, leurs meutes sortant des forêts et attaquant les villageois. Des provinces, les pauvres affluaient de plus en plus nombreux, cherchant gîte et pitance. La masse des gagne-deniers qui traînaient chaque matin sur la Grève en quête de travail gonflait à l'excès. Le lieutenant général de police s'inquiétait fort de cet afflux de peuple. Le contrôle de ces inconnus s'avérait difficile, les bureaux ne pouvaient être instruits que de ceux qui logeaient dans les auberges, mais non des mendiants, journaliers et autres misérables qui, tous les jours passant les barrières, couchaient dans les galetas où aucun registre n'était tenu ou, pis, à la belle étoile. Dans ces conditions, comment la joie pouvait-elle être au rendez-vous ?
    Nicolas était bien placé pour savoir le dessous des choses. Dès le dernier règne, la police suppléait parfois à la ferveur populaire en organisant de bruyantes et factices exhibitions. On disait l'agitation des masques soldée par elle. Cela permettait de gazer la fermentation des esprits. Aussi la fête populaire perdait-elle, dans les tristesses et les misères écrasantes du moment, son allègre éclat de jadis et ne se soutenait plus que par le concours actif des mouches et des acteurs stipendiés. L'habituelle agitation se maintenait seulement dans les bals des faubourgs. Quelques jours auparavant, la reine, circonvenue par le comte d'Artois, son jeune beau-frère, avait pris part à une course 1 effrénée dans le grand salon des Porcherons. Nicolas, qui surveillait l'escapade, avait frémi : en dépit de l'incognito la souveraine pouvait être reconnue. Rien n'assurait que se mêler aux distractions du peuple fût compris et apprécié par lui ; il révérait peu ceux qui se dépouillaient de leur mystère.
    Au coin de la rue de la Sonnerie, la voiture précédemment croisée le frôla à nouveau. La même face de carnaval l'observa sans qu'il parvînt à affiner sa
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