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Le bûcher de Montségur

Le bûcher de Montségur

Titel: Le bûcher de Montségur
Autoren: Zoé Oldenbourg
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vivait dans un monde où la vie des saints et les récits sacrés tenaient en grande partie la place que tiennent à notre époque le théâtre, le cinéma, les journaux illustrés et les contes de nourrice. La littérature profane et la littérature populaire, assez étrangères à la religion, faisaient encore figure de genres mineurs ou réservés à une élite peu nombreuse ; l’élan créateur des peuples d’Occident, jeunes, avides de nouveauté, épris de poésie jusque dans les tâches les plus humbles, était presque tout entier canalisé par la vie religieuse, qui prenait bien souvent l’aspect d’un paganisme à peine christianisé.
    On a pu dire que les cathédrales étaient la Bible du pauvre et plus que cela : le grand livre par lequel le fidèle entrait en contact avec l’histoire, les sciences, la morale, les mystères du passé et de l’avenir. Ce qui subsiste des cathédrales du XII e  siècle ne nous donne qu’une idée incomplète de leur magnificence ; n’oublions pas que non seulement l’intérieur, mais l’extérieur en était peint et doré ; que les statues et les tympans des grands portails étaient polychromes ; que les nefs, surchargées de fresques, étaient de plus ornées de tapisseries, de tissus d’Orient, d’oriflammes de soie brodées d’or ; que les autels, les châsses, les images miraculeuses représentaient des trésors d’un prix incalculable, tant par la quantité de matières précieuses que par la beauté du travail.
    Le peuple était pauvre ; la bourgeoisie déjà riche, mais égoïste, comme toute bourgeoisie ; la noblesse, ostensiblement dépensière ; les prélats souvent occupés à imiter les nobles dans leurs guerres comme dans leur faste. Si de ces terres sans cesse ravagées par les famines, les incendies, les guerres grandes et petites, les épidémies et le banditisme à toutes les échelles, des cathédrales d’une richesse aussi inouïe ont pu surgir, il faut croire que la foi des hommes de ce temps-là était d’une trempe toute particulière. Ce désir têtu d’incarner, de matérialiser le divin montre à la fois un amour profond de la matière et du monde créé et un mépris assez grand de la vie humaine. C’est la foi des adorateurs de reliques qui a construit les cathédrales.
    Les hommes de la France du Nord n’étaient pas tous, tant s’en faut, des fervents de la papauté ; en 1204, les évêques français tiennent tête aux légats qui veulent contraindre Philippe Auguste à la paix avec l’Angleterre ; les barons ont sans cesse d’âpres luttes d’intérêts avec les abbés et les évêques et le peuple n’est jamais content de payer la dîme. Il n’en reste pas moins vrai que le peuple de France était, l’époque, profondément catholique et attaché à ses lieux de pèlerinage comme à un patrimoine national. Or, l’hérésie qui avait gagné les pays occitans avait caractère si farouchement opposé à toutes les manifestations de la vie de l’Église que les missionnaires envoyés par le légat Arnaud pour prêcher la croisade ne devaient avoir aucun mal à provoquer l’indignation des foules contre les « ennemis de Dieu ».
    Les récits dont le chroniqueur Pierre des Vaux de Cernay se fait l’écho devaient être l’objet de conversations et de commentaires dans toutes les villes de France, et ce n’était certainement pas les seuls ni les plus atroces. L’image de l’homme qui a souillé l’autel d’une église, celle des soldats du comte de Foix qui coupent en morceaux un chanoine et se servent des bras et des jambes d’un crucifix pour piler des épices devaient hanter la pensée des croyants les plus tièdes. Les hérétiques profanaient les calices et déclaraient que celui qui reçoit l’hostie absorbe un démon ; ils blasphémaient contre les saints en les déclarant damnés. Les paroles du pape « Ils sont pires que les Sarrasins » correspondaient à la plus stricte vérité. Les auditeurs des envoyés de Rome n’étaient pas humanistes : l’image d’un crucifix mutilé les révoltait sans doute plus que celle d’un homme coupé en morceaux.
    Le roi, qui raisonne en homme politique, n’a pas l’air de s’émouvoir outre mesure des progrès de l’hérésie ; il est aussi peu favorable à la croisade qu’il peut décemment l’être et écrit à Innocent III qu’il ne se croisera que si le pape oblige le roi d’Angleterre à ne plus attaquer la France et s’il ordonne
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