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Le bûcher de Montségur

Le bûcher de Montségur

Titel: Le bûcher de Montségur
Autoren: Zoé Oldenbourg
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croisés n’étaient guère que des professionnels de la guerre, toujours heureux de trouver une occasion honorable de se battre, il ne faut tout de même pas oublier que l’armée qui se préparait, s’organisait pour le départ dans les châteaux, les salles d’armes des communes, les champs clos pavoisés et les salles de gardes des palais princiers et épiscopaux était une armée d’hommes qui faisaient coudre une croix sur leurs vêtements de guerre. Le seul fait de prendre la croix était, même pour les plus tièdes, un symbole assez éloquent pour provoquer l’enthousiasme.
    Or, comment l’anathème du pape a-t-il pu transformer, du jour au lendemain, le comte de Toulouse en un païen et un infidèle ?
    Le Languedoc n’était pas séparé de la France par des mers ni par des milliers de lieues ; c’était, cependant, un pays étranger, sinon ennemi ; les grands barons méridionaux, jaloux avant tout de leur indépendance, s’appuyaient tantôt sur le roi de France, tantôt sur le roi d’Angleterre, formaient des alliances avec le roi d’Aragon et l’empereur, le lien de vassalité qui reliait le comte de Toulouse au roi de France était assez ténu. Grand vassal de la couronne, le comte n’était même pas un allié pour le roi, mais un voisin peu sûr, toujours prêt à favoriser la politique du roi d’Angleterre (dont il était le beau-frère et qui était l’oncle de son fils unique) et celle de l’empereur. Les grands barons de langue d’oil, sans être tous de fidèles sujets du roi de France, étaient Français de tradition et de culture et ne songeaient pas à faire cause commune avec ceux qu’ils appelaient (non sans quelque dédain) les Provençaux.
    Parmi les grands barons qui prirent la croix, les premiers se trouvaient être Eudes II duc de Bourgogne et Hervé IV comte de Nevers : ces seigneurs savaient pourquoi ils allaient se battre, l’hérésie avait déjà pénétré sur leurs terres, ils avaient donc des raisons de vouloir en arrêter l’expansion. Des chevaliers tels que Simon de Montfort ou Guy de Lévis étaient animés d’un zèle sincère pour ce qu’ils considéraient comme la cause de Dieu, ces combattants désintéressés, ces « soldats de Dieu » devaient être fort nombreux dans l’armée croisée qui se réunit à l’appel d’Innocent III ; la noblesse franque avait depuis longtemps pris l’habitude de confondre ses propres intérêts avec ceux de Dieu.
    La foi des croisés qui, pour la gloire de Dieu, n’hésitent pas à exterminer leurs semblables peut nous paraître surprenante et d’une qualité assez basse. Elle ne l’était peut-être pas toujours : la morale simplement humaine n’entrait pas en ligne de compte quand les intérêts de Dieu semblaient en jeu. Ces intérêts pouvaient avoir un caractère singulièrement terrestre, mais personne n’en était choqué, tant Dieu semblait proche des affaires des hommes. La foi, en France comme dans les autres terres chrétiennes (et peut-être davantage), était profonde et vivace et, par ce fait même, terriblement attachée à ses manifestations extérieures. Le sens du sacré qui imprégnait la vie sociale et la vie privée allait jusqu’à un symbolisme pris à la lettre qu’il nous serait facile de traiter de fétichisme. En examinant l’histoire de la guerre contre les albigeois, il ne faut pas oublier qu’outre les mobiles politiques, il y en eut d’autres, sentimentaux ou passionnels, sans lesquels cette guerre n’eût peut-être pas pu avoir lieu, ni du moins prendre le caractère particulièrement cruel qui allait la caractériser. Cette guerre ne fut pas seulement l’affaire de quelques fanatiques ou de quelques ambitieux, ni même la réaction de l’Église romaine contre l’hérésie ; elle correspondait à l’expression profonde d’une certaine forme de la civilisation occidentale, d’une certaine conception de l’univers et de Dieu.
    Nous avons parlé du côté en quelque sorte terrestre de la foi des hommes du XII e et du XIII e  siècle, car il semble bien qu’à cette époque l’aspiration à enchâsser le surnaturel dans des formes de plus en plus concrètes, de plus en plus cohérentes ait atteint une vigueur ignorée jusque-là.
    En chassant ou en monopolisant à son profit les antiques mythologies latines et celtiques, l’Église avait métamorphosé les saints en personnages de folklore et les dieux et demi-dieux en saints ; et le chrétien
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