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Le bûcher de Montségur

Le bûcher de Montségur

Titel: Le bûcher de Montségur
Autoren: Zoé Oldenbourg
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l’époque du désastre. Son caractère privé s’efface devant le rôle qu’il avait à jouer et l’on ne peut même pas dire que la tâche ait été trop lourde pour ses épaules ; il semble si bien s’identifier avec la cause de son peuple, qu’il finit par apparaître comme quelque chose de bien plus qu’un chef : un souverain véritablement légitime, dont la fonction est d’être le symbole de son peuple et l’esclave des intérêts de ses sujets. Avec ses faiblesses et ses défauts, il reste, face à des adversaires déshumanisés par la foi, le fanatisme, l’ambition ou simplement l’ignorance, humain jusqu’au bout. Raymond VI avait commis une faute trop lourde de conséquences pour qu’on pût la laisser impunie à une époque où l’on jugeait et condamnait les peuples sur la conduite de leurs princes : il a été un souverain tolérant.
    La tolérance ne passait pas pour une vertu et, sans doute, Raymond VI ne s’est-il jamais vanté de la posséder. Ses aïeux, son père avaient brûlé des hérétiques, comme l’on fait les rois, leurs voisins. Mais, vers la fin du XII e  siècle, l’hérésie avait fait de tels progrès qu’ils eût fallu brûler des milliers de personnes et réduire à la mendicité des provinces entières si l’on voulait s’en tenir à la lettre de la loi. Le comte ne pouvait plus persécuter les hérétiques pour la bonne raison qu’ils formaient à présent une partie importante de ses sujets. Ce qui dans les autres pays était encore un scandale monstrueux devenait dans le Midi de la France une espèce de mal inévitable dont on prend son parti et qui finit à la longue par ne plus apparaître comme un mal. «… Pourquoi donc, demande Foulques, l’évêque de Toulouse, au chevalier Pons Adhémar, ne pas les (les hérétiques) disperser et les expulser de vos terres ? – Nous ne le pouvons pas, répond le chevalier. Nous avons été élevés avec eux, nous avons parmi eux de nos parents et nous les voyons vivre honnêtement » (Guill. de Puylaurens). Et l’historien ajoute : « Ainsi l’erreur, sous le voile hypocrite d’une vie honorable, dérobait la vérité à ces esprits peu clairvoyants 13 . »
    Tels étaient les faits. Mais il faudrait essayer de comprendre comment un pays, de longue et solide tradition catholique, a pu en arriver à cette acceptation tacite d’une religion qui avait pour but avoué la destruction totale de l’Église. Pour comprendre cela, il faudrait jeter un rapide coup d’œil sur l’histoire de la terre occitane au XII e  siècle, sur sa situation politique et sociale et, surtout, sur le climat spirituel et moral de ces provinces qui étaient à l’époque un des grands foyers de la civilisation occidentale.
    Les territoires soumis à la suzeraineté des comtes de Toulouse étaient presque aussi vastes que les terres directement soumises à la couronne de France, mais le « pays de la langue occitane » – de la langue d’oc – n’est pas une grande puissance ; c’est tout de même un pays indépendant. Théoriquement, le comte de Toulouse est vassal du roi de France. Il l’est beaucoup moins que le comte de Champagne ou même que le duc de Bourgogne ; Paris est loin de Toulouse, la langue du Nord n’est pas celle du Midi, le pouvoir du roi de France dans le Midi est purement nominal. D’autre part, le comte tient une partie de ses domaines du roi d’Angleterre, suzerain tout aussi éloigné et aussi théorique. De grands vassaux du comte de Toulouse sont aussi vassaux du roi d’Aragon et ce roi détient, en plein Languedoc, Montpellier et les vicomtés de Carlat et de Millau. Arles est terre d’Empire. Une telle multiplicité de suzerains est en elle-même une garantie d’indépendance. Si l’empereur est loin, si le roi d’Angleterre est trop occupé par la défense de ses trop vastes domaines contre la puissance grandissante des rois de France, si le roi d’Aragon, qui ne demande pas mieux que d’agrandir ses domaines au-delà des Pyrénées, est pris par son combat permanent contre les Maures, si le roi de France cherche à étendre sa domination vers les frontières naturelles des terres qui entourent la sienne, le comte de Toulouse peut être tranquille. Ses suzerains, dans leur lutte pour les zones d’influence, sont pour lui des protecteurs virtuels et non des maîtres.
    Mais ce tableau est encore trop simple : le comté de Toulouse subit tour à tour, au cours du XII e
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