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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2
Autoren: Irwin Shaw
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le caporal. Ce n’est qu’à trois kilo, mètres, maintenant. Le capitaine doit nous rejoindre et vous montrer où vous devrez établir vos nouvelles positions.
    Il ne cessait de regarder nerveusement autour de lui. Il avait l’air d’un homme qui s’attend à chaque instant à être abattu par un franc-tireur, surpris en terrain découvert par un avion en maraude, exposé, sur une colline, au tir direct d’un mortier. En le regardant s’agiter ainsi, Christian fut soudain convaincu que le caporal mourrait bientôt.
    Christian fit signe à ses hommes de le suivre, et tous traversèrent le pont sous la conduite du caporal. « Excellent, pensait Christian, encore trois kilomètres, et le capitaine reprendra l’entière responsabilité des opérations. » Les pionniers les regardaient de leurs trous, sans amour et sans malice.
    De l’autre côté du pont, Christian s’arrêta. Automatiquement, ses hommes s’arrêtèrent. Presque inconsciemment, les yeux de Christian s’étaient mis à estimer des distances, étudier des possibilités, mesurer des angles de tir.
    –  Le capitaine nous attend, dit le caporal, regardant avec inquiétude, au-delà du peloton, la route sur laquelle les Américains apparaîtraient tôt ou tard. Pourquoi vous arrêtez-vous ?
    –  Tenez-vous tranquille, dit Christian.
    Il retraversa le pont en sens inverse, s’arrêta au milieu de la route, pour regarder en arrière. Sur une centaine de mètres, la route était droite, puis elle contournait une colline et disparaissait… Christian se retourna une seconde fois et, à travers le brouillard matinal, contempla les collines vers lesquelles ils se dirigeaient. La route s’enroulait en lacets autour des monticules rocheux, parmi la végétation anémique et rare. À huit cents ou mille mètres de là, au sommet d’une pente presque à pic, s’élevait un amas chaotique de roches, résultat d’un ancien éboulement. Parmi ces blocs, constata automatiquement son esprit, il serait facile de poster une mitrailleuse avec laquelle ils pourraient aisément balayer le pont et l’approche du pont.
    –  Je ne voudrais pas vous importuner, sergent, disait le caporal d’une voix tremblante, mais les ordres du capitaine sont formels. Il a dit, « immédiatement ». Et il a ajouté qu’il n’accepterait aucune excuse.
    –  Tenez-vous tranquille, répéta Christian.
    Le caporal ouvrit la bouche pour protester, puis il réfléchit et jugea préférable de s’en abstenir. Il avala sa salive et passa sa main sur ses lèvres sèches. Debout sur la première pierre du pont, il regardait désespérément vers le sud.
    Christian descendit lentement jusqu’au fond du ravin. À une dizaine de mètres, remarqua-t-il, la pente qui descendait de la route était très douce très praticable, sans trous profonds ni obstacles importants. Le lit asséché de la rivière était sablonneux et lisse, clairsemé de pierres arrondies par le frottement des eaux, et de rares buissons épineux.
    « C’est très possible, pensait Christian, et ce ne serait même pas difficile. » Il remonta lentement jusqu’à la route. Le peloton s’y tenait prudemment en bordure, prêt à sauter dans les trous des pionniers au moindre bourdonnement d’avion.
    « Comme des lapins, pensa Christian avec ressentiment. Nous ne vivons plus comme des êtres humains. »
    Près de l’entrée du pont, le caporal s’agitait toujours nerveusement.
    –  Prêt, sergent ? demanda-t-il. Nous partons, maintenant ?
    Christian feignit de ne l’avoir pas entendu. Une fois encore, il se tourna vers l’endroit où, à cent mètres derrière eux, la route disparaissait autour de la colline. Il ferma à demi les yeux. Il pouvait presque imaginer le premier Américain, à plat ventre, risquant un œil circonspect pour voir si la voie était libre. Puis, la tête disparaîtrait. Puis une autre tête, probablement celle d’un lieutenant – l’armée américaine semblait disposer d’une quantité illimitée de lieutenants, qu’elle sacrifiait sans la moindre parcimonie – apparaîtrait à son tour. Puis, lentement, détecteurs de mines en tête, l’escouade, le peloton, ou peut-être la compagnie, contourneraient prudemment la colline et s’approcheraient du pont.
    Christian se retourna et regarda de nouveau l’amas de blocs rocheux, au sommet de la pente abrupte, à un kilomètre de là. Il était presque certain que, de là-haut, il découvrirait non seulement le pont
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