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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue
Autoren: Valerio Manfredi
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d’elle et des personnages qu’elle nous avait décrits. Nous avions l’impression de les avoir nous-mêmes côtoyés, et nous nous persuadions que nous les reconnaîtrions s’ils apparaissaient devant nous. Parfois, Abisag, qui était la plus naïve, imaginait que Xéno reviendrait. S’étant rendu compte qu’il ne pouvait vivre sans Abira, il suivait ses traces le long de la voie qui conduisait aux Portes de Cilicie et aux villages de la Ceinture. Elle aimait imaginer qu’il surgirait un soir, au puits, resplendissant dans son armure, accompagné de son cheval piaffant. Elle les voyait se jeter dans les bras l’un de l’autre pour ne plus se quitter.
    Abisag… douce amie.
    Plusieurs jours s’écoulèrent. Le ciel s’assombrit. Les journées se raccourcissaient, et les tempêtes qui se déchaînaient parfois sur les sommets du Taurus s’aventuraient dans nos villages sous la forme d’un sifflement rageur.
    Puis, une nuit, alors que nous étions blotties sous nos couvertures et que nous pensions à elle, seule et triste dans la cabane au bord du fleuve, nous entendîmes le vent qui gronde ! Le vent qui annonce un événement extraordinaire.
    Au matin, juste avant l’aube, les chiens gémirent puis aboyèrent furieusement. Je me levai et allai sur la pointe des pieds à la fenêtre. Les maisons des autres villages, serrées les unes contre les autres, se détachaient sur un ciel de perle.
    Mais que se passait-il ? Il régnait la même atmosphère que la nuit où nous avions arraché Abira à la mort. Je sentais monter en moi une agitation étrange, irrépressible, tandis que les chiens aboyaient encore aux présences invisibles qui traversaient la steppe.
    Je sortis, vêtue d’une simple tunique, et j’allai réveiller Mermah et Abisag. Elles me rejoignirent immédiatement. Elles ne parvenaient pas à dormir, elles non plus.
    Nous quittâmes ensemble le village et nous dirigeâmes, côte à côte, vers le puits, guidées par une sensation indéfinissable, ce genre de prémonition et de trouble qui, raconte-t-on, envahissent les vierges adolescentes lorsqu’elles découvrent le mystère de leur période lunaire.
    Le vent qui gronde se tut soudain, laissant la place à un souffle sec et continu, aussi tendu que la corde d’un arc, une tempête de poussière qui surgissait de la steppe. Rapidement, les contours des objets s’émoussèrent, toute forme se changea en ombre dans la brume. Nous nous couvrîmes la tête et la bouche avec un pan de nos tuniques et continuâmes notre chemin. Soudain, nous aperçûmes Abira, debout devant sa cabane, sa robe collée à son corps sublime par le souffle du désert. Tournée de côté, elle observait quelque chose… Nous nous dissimulâmes derrière des palmiers et suivîmes son regard.
    « Regardez ! s’exclama Mermah.
    — Où ? interrogea Abisag.
    — Ici, à notre droite. »
    Une silhouette se dirigeait vers la cabane d’Abira, une figure spectrale, dont les contours se faisaient de plus en plus nets au fur et à mesure qu’elle s’échappait de la brume. Peu après, nous entendîmes un cheval s’ébrouer et des armes tinter.
    Il passa si près de nous que nous aurions pu le toucher : un cavalier revêtu d’une armure étincelante et d’une cape immaculée, monté sur un puissant étalon aussi noir que le jais. Abira alla à sa rencontre d’un pas hésitant. Nous vîmes ses yeux se remplir de stupéfaction quand l’homme s’immobilisa : il descendit de cheval, ôta son casque, libérant une masse de cheveux blonds aussi fins que de la soie.
    Mermah posa par mégarde le pied sur une brindille. Aussitôt, le guerrier se tourna vers nous, nous offrant son visage. Il était beau comme un dieu, avec ses yeux gris-bleu pénétrants. Il avait porté la main à son épée, qui étincelait.
    « C’est Ménon ! murmura Abisag avec admiration et stupeur. C’est lui. »
    … Lui, qui avait admiré et peut-être aimé en secret Abira. Lui, la divinité de neige qui lui était apparue dans la tourmente et qui l’avait sauvée de la mort blanche, lui, la vague apparition qui flottait sur les monts et dans les bois, toujours trop lointaine, lui, que tout le monde avait cru mort avec les autres généraux, lui, le seul capable de survivre : Ménon, blond et féroce.
    Abira s’approcha. Ils demeurèrent longtemps face à face, enveloppés dans la grande cape blanche que le vent agitait. Pas un mot, pas un geste. J’imaginai seulement un profond et
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