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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit
Autoren: François Bellec
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saint Joseph parmi les copeaux,
     les gouges et les rabots de son presbytère-atelier. Grâce à cette clé de la
     langue savante, François déchiffrait à s’en user les yeux les livres de la
     bibliothèque du cartographe, un meuble massif que huit larges pieds pattus
     étaient prêts à asseoir au besoin sur une terre battue aux sabots. Habitées
     par une colonie de livres augustes venus se poser là, ses étagères
     fléchissaient sous le poids du monde. L’Inde ! Une formidable aventure.
     Aller voir de ses yeux Goa que décrivaient les livres, la plus belle ville
     du monde d’après les voyageurs qui en rentraient éblouis.

    La voix de Guillaume le ramena de mauvais gré au
     Pollet.
    — Il fait doux ce soir. L’hiver cherche à nous abuser mais il
     prépare ses mauvais coups de vent de noroît.
    — Mon père dit pareil, confirma Yvon.
    — Il pense ça, ton père ?
    — Et même qu’il pourrait y avoir quelques veuves avant
     l’avril dans le quartier des pêcheurs.
    D’humeur désagréable, François les interrompit.
    — En attendant l’avril, le Seigneur ne nous éclaire plus
     suffisamment pour honorer son œuvre. Mon marteloirattendra un nouveau jour. À moins que ton Mercator
     débarque cette nuit pour le jeter au feu. Cela m’arrangera plutôt car je
     préfère confectionner les compas marins et activer les aiguilles. Dieu merci
     ils occupent le plus clair de mon temps chez toi.
    Dans un claquement de sabots, le mousse vint présenter son
     œuvre.
    — L’encre est bonne maintenant ?
    Le maître saisit la queue du poêlon et le porta à ses
     narines, le renifla, le fit tourner à la lumière pour apprécier les reflets
     du liquide et sa fluidité.
    — Elle est parfaite, Yvon. Tu es un excellent cuisinier
     d’encre. Mets-la à décanter au frais. Nous la filtrerons demain. Couvre le
     feu et va vite rejoindre ta mère. Ne traîne pas avec les galopins de ton
     quartier. Je sais qu’ils te houspillent.
    — C’est vrai qu’ils sont tous après moi. Ils disent que je
     sens l’encre.
    — Dis-toi qu’ils crèvent de jalousie parce que tu ne sens pas
     le poisson comme eux.

    François coiffa les chandelles d’un éteignoir, l’une après
     l’autre, précautionneusement, pour ne pas risquer de faire tomber des
     gouttes de cire sur leurs travaux. Pendant ce temps, selon le rituel de
     chaque soir, Guillaume remontait l’horloge calée sur le dessus de la
     bibliothèque. Son cadran argenté gravé de la signature de David Leroy,
     maître serrurier à Tours, imposait son heure imperturbable à l’atelier.
     Malgré sa considération pour l’artiste qui avait limé du métal jusqu’à le
     faire palpiter, il en avait démonté le timbre. Depuis l’ablation de son
     complément naturel, le marteau obstiné qui ne rencontrait plus d’obstacle
     rebondissait dans le vide en émettant de un à seize dougoudoung résignés, à
     raison d’un, deux ou trois aux quarts d’heure. Aux heures rondes, quatre
     battements annonçaient les un à douze battements informatifs consentant
     enfin à donner l’heure. Les errants de l’ Odyssée avaient eux aussi inhibé les chants des sirènes, les laissant crier en
     silence à leurs oreilles bouchées de cire : Viens,
     fameuxUlysse, gloire éternelle de la Grèce,
     arrête ton navire afin d’écouter nos voix. Comme l’heure ultime,
     les sirènes étaient assassines. Sauf que le stratagème du fils de Laërte
     avait déjoué leur ruse mais que, ce 9 mars 1605, l’horloge de Guillaume
     courait toujours.

Ce même jour, le soleil commençait son coucher de faux
     monnayeur derrière la palmeraie de Marrakech. Il tentait de faire croire
     qu’il transmutait en or les quatre boules de cuivre du minaret de la
     Koutoubia. Même les têtes coupées exposées pour l’exemple place Jemaa-el-Fna
     – l’assemblée des trépassés – ne s’y laissaient plus prendre. Dans le
     méchouar, un palabre languissait depuis le milieu de l’après-midi. Felippo
     Gaspari de Morsiglia, ambassadeur d’Henri IV, s’efforçait de convaincre le
     grand vizir d’échanger contre rançon deux captifs portugais qui se
     momifiaient depuis un quart de siècle les fers aux pieds. Chevalier du
     Saint-Sépulcre, sociétaire de la Compagnie du corail, Morsiglia était une
     figure de l’aristocratie marchande corse de Marseille. Il avait obtenu le
     monopole du commerce des cuirs, du sucre et de la cochenille grâce à la
    
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