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L'affaire Nicolas le Floch

Titel: L'affaire Nicolas le Floch
Autoren: Jean-François Parot
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désastre. Ni le vieux procureur, ni le docteur Semacgus n'étaient parvenus, en dépit d'efforts destinés à complaire à Nicolas, à dérider la jeune femme. Il en tirait la leçon de ne point mélanger ceux qu'il aimait et se torturait à l'idée que son choix n'était pas approuvé. Dès que cette obsession s'insinua dans son esprit, la dévotion fut battue en brèche. Il constata avec effroi qu'un amour sans indulgence pour les défauts de son objet n'existait plus.
    La consternation muette de ses proches attristait Nicolas et, longtemps, il ne voulut pas en tirer les conséquences. Il lui fallait accepter que cette liaison fût une erreur et que Mme de Lastérieux ne le méritât point. Il éprouva aussitôt, et s'en accusa, une souffrance d'orgueil d'avoir cédé à un être que tout le conduisait à ne plus estimer ; mais se vit aimer encore en rougissant d'aimer. La dernière scène avait mis le comble à cette désaffection. Pourquoi avait-il accepté ce souper en tête-à-tête ? En fait, il le savait trop bien... Cet engagement le contraignit à peiner M. de Noblecourt qui souhaitait, ce soir-là, tirer les rois avec quelques amis ; Nicolas, Semacgus, et l'inspecteur Bourdeau, auxquels se joindrait, si son service auprès du roi le lui permettait, M. de La Borde. Nicolas avait dû décliner la mort dans l'âme.

    Il avait rejoint la rue de Verneuil en fin d'après-midi pour y trouver rassemblée, à sa grande surprise, une joyeuse compagnie. La moue ironique par laquelle Mme de Lastérieux s'inquiéta de le voir arriver si tôt lui déplut, tout comme l'annonce d'un grand souper d'une douzaine de personnes dont certaines se trouvaient déjà là. Elle l'abandonna et courut, rieuse, tourner la page d'une partition à un jeune homme qui jouait au piano-forte. Balbastre vint saluer Nicolas, son visage poupin, outrageusement maquillé, se plissa d'ironie et ses yeux noirs fixèrent le commissaire sans aménité. Quatre inconnus, jeunes aussi, jouaient aux cartes sur une table de précieuse laque de Coromandel. Hormis l'organiste, commensal habitué de la maison, Nicolas était le plus âgé. Il en éprouva de l'amertume, tout en se reprochant aussitôt le ridicule de ce sentiment. Quel personnage pensait-il jouer pour qu'une jeunesse dans les vingt ans le conduisît à se sentir barbon de comédie, quelque Alceste égaré au milieu de godelureaux ? Il s'adossa à une croisée. Le visage aux méplats aigus du jeune homme assis au piano-forte l'intriguait comme l'image délavée et trouble d'un vestige du passé, la face d'un noyé remontant du fond des eaux. Décidément, tout se conjuguait pour l'intriguer. Et d'ailleurs, pourquoi ne l'avait-elle pas présenté à ses hôtes ? Encore une blessure d'amour-propre à ajouter à la liste grandissante des avanies quotidiennes. Casimir et Julia, les deux serviteurs des Îles, servaient des sirops, du chocolat accompagnés de macarons et un breuvage délicieux, que Nicolas appréciait en d'autres occasions plus intimes, mélange savant de sirop de sucre et de rhum blanc auquel la servante ajoutait des zestes de bergamote et quelques gouttes d'une potion mystérieuse dont elle refusait toujours de divulguer le secret dans un grand rire éclatant.
    Quelques instants après son arrivée, il observa le jeune homme sortir de son habit un recueil d'airs à boire. Se pouvait-il qu'il éprouvât à son endroit un sentiment de jalousie ? Julie se pencha sur son épaule en renversant la tête avec un rire de gorge. Elle jeta un regard moqueur à Nicolas et lui fit signe d'approcher. Que lui voulait-elle ? Elle se redressa quand il fut à ses côtés.
    — Monsieur, allez me préparer un lait de poule, j'ai la bouche si sèche qu'il me la faut rafraîchir.
    Elle accompagna sa demande d'un coup sec de l'éventail en dentelle dont elle jouait. Ce geste, qu'il prit comme une agression, fut pour Nicolas une déchirure. Il avait été accompli en présence d'un témoin au regard provocant et le ton était inacceptable. Sans parler de la lumière portée sur un secret de leur vie intime, ce lait de poule qu'il préparait chaque nuit au début de leur passion. Il perdit, lui si patient, sa maîtrise et ne parvint pas à dissimuler sa colère.
    — Madame, j'informerai vos gens de votre désir. Je vous donne le bonsoir.
    Elle le fixait, le bas du visage crispé dans un demi-sourire, les yeux durs. L'assemblée s'était tue. Il s'inclina et traversa le salon si rudement
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