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Lacrimae

Titel: Lacrimae
Autoren: Andrea H. Japp
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sur lui-même, et sa seule arme contre ce père despote – qui ne se reconnaissait guère en son cadet – se résumait à l’intelligence et à la ruse. À la patience, aussi. Pourtant, des envies de tuer le suffoquaient parfois. Comme hier matin, lorsqu’il avait aperçu l’ivrogne pénétrer en titubant dans les appartements d’Ivine. L’imaginer, écrasée sous ce soudard, le rendait fou. Dieu que Cyr l’aimait ! Plus que tout. À l’évidence, le destin l’avait menée jusqu’à lui, pour qu’elle devienne sienne. Son âme sœur, son brûlant amour. Toutefois, il n’était pas de force contre son père. En revanche, un Amâtre bien manipulé, aux sangs bien échauffés… Quelle importance s’il avait alors le dessous et se faisait navrer 1 . Un de moins ! D’autant qu’alors le domaine, les biens et le titre reviendraient à Cyr, une fois son père occis. Une ronde affaire.
    Il l’admettait sans remords. Il avait un temps espéré qu’Amâtre, friand d’altercations, de combats trouverait un jour son maître et se ferait transpercer par une lame plus experte. Aussi, le message reçu lui avait-il causé chagrin et déception : son aîné était encore vif.

    Un crissement de feuilles sèches sous des sabots. Cyr se tourna dans la direction du bruit. Il reconnut aussitôt le destrier noir, haut de garrot. Celui d’Amâtre. Son cœur s’emballa un peu. Il se contraignit au calme et se composa une mine joyeuse.
    Amâtre démonta, semblant incertain de l’attitude à adopter. Il s’approcha à pas lents de son cadet qui ouvrit les bras en soupirant :
    — Mon frère, j’ai tant attendu ce moment ! La vie est bien lugubre sans ta présence. Tu m’as manqué.
    Le doute abandonna le regard si dissemblable de celui de Cyr. Se lut dans les petits yeux marron une véritable joie. Sans doute, le grand gaillard imbécile avait-il oublié les humiliations, les corrections qu’il infligeait à son jeune frère pour se dédommager de celles qu’il recevait de leur père. Les coupables ont souvent courte mémoire. Pas leurs victimes.
    — Mon Cyr, toi aussi je t’ai bien regretté. Assoyons-nous et discutons en fraternité, veux-tu ?
    Amâtre avait changé. Il s’était empâté, à l’image de leur père, mais paraissait encore plus robuste, invincible qu’avant. De vilaines veinules violettes sillonnaient ses pommettes, trahissant de fréquents abus de boisson. Il était devenu une version plus jeune, criante de ressemblance, de leur père, jusqu’aux petits yeux rapprochés de prédateur. Un certain soulagement envahit Cyr. La délicate, la magnifique Ivine ne pourrait jamais s’éprendre de cette copie du gros porc peu ragoûtant qui frottait avec tant d’assiduité son ventre au sien.

    Ils discutèrent longtemps, Cyr posant une multitude de questions à son aîné sur ses occupations de ces trois années, feignant la fascination. De ses dires, Amâtre avait voyagé jusqu’en royaumes d’Italie et d’Espagne. Puis, lassé, gavé de femmes, de filles, de vin et de rixes de sortie de bouge, il avait repris le chemin de la seigneurie un matin, sans même l’avoir décidé.
    Cyr traduisit : Ivine ne lui avait jamais quitté l’esprit, jusqu’à devenir un délicieux fantôme qui hantait ses jours et ses nuits. Une question trotta dans sa tête. Était-ce véritablement Ivine que son frère aimait, ou l’idée de déposséder son père de sa passion, de prendre ainsi sa place, jusque dans la couche de la veuve ? Était-ce une histoire d’amour ou de guerre, d’impitoyable revanche ? Quelle importance ? Aucune. Ces trois années de solitude, d’extrême prudence avaient enseigné une leçon fondamentale à Cyr : seul importait ce que lui voulait. Il voulait Ivine, la seigneurie et les biens. Il les obtiendrait. Il n’avait à rendre grâce de rien, à personne. Il avait été mal aimé, malmené, maltraité, humilié à en suffoquer, avait grandi seul, ne comptant que sur lui-même et rasant les murs afin de ne pas encourir le courroux de son père, courroux qui explosait sans qu’une raison le justifiât. Il avait partagé les repas de la domesticité en cuisine pour ne pas risquer de l’offenser par sa simple présence. Second hoir mâle, on lui avait attribué le rôle de celui qui ne prend d’importance que lorsque le premier décède. Rien ! Il ne leur devait rien, hormis de fort mauvais souvenirs.

    Amâtre marqua une pause, affectant l’encombre. Pourtant, Cyr
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