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Lacrimae

Titel: Lacrimae
Autoren: Andrea H. Japp
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aux griffes de l’Inquisition. Mon apprenti et moi aimerions nous restaurer un peu.
    Ils s’installèrent dans le silence, escortés par la curiosité sans animosité mais prudente des habitués.

    Maîtresse Borgne, décidée à savoir qui fréquentait son établissement, s’approcha et débita la courte liste de ce qu’elle pouvait leur proposer : des truites marinées au vin aigre 1 qui lui restaient de la veille, jour maigre 2 , de la langue de bœuf rôtie au lard gras, un « délice qu’on ne voyait guère que sur les tables de noblesse 3  » ou, moins onéreux, une généreuse omelette au lard, en plus du pain et du fromage à satiété, inclus dans le prix du repas.
    En la découvrant/Quand elle la découvrit , la petite tonsure de Druon ne lui dit rien qui vaille. Un clerc invité de l’abbaye ? Il lui fallait le découvrir au plus preste. Certes, on brocardait volontiers les moines de Tiron, toutefois l’abbé avait droit de haute, moyenne et basse justices. Nul n’avait envie d’être bastonné, ou pire, pour outrage envers l’Église.
    — Vous rendez-vous en not’ bonne abbaye ? s’enquit-elle, feignant une indifférence affable.
    — Non pas. Je suis chevalier mire itinérant. Nous parcourons les chemins, nous arrêtant là où mon art est souhaité.
    Il sembla à Druon que la femme se détendait et que son sourire devenait moins forcé. D’ailleurs, les échanges reprirent, à voix basse afin qu’il ne puisse les surprendre.
    — Nous avons passé la nuit à la belle étoile, poursuivit le mire. Nous sommes affamés et encore refroidis jusqu’aux os.
    Druon avait sagement décidé de faire durer le plus longtemps possible la bourse offerte par le seigneur de Verrières à leur départ, en ne dormant qu’une nuit sur deux dans des auberges, jusqu’à ce que le froid les en dissuade.
    — Un cruchon de cidre. Quant à l’omelette au lard, elle me fait saliver d’avance, conclut Druon, conscient que leur entrée avait dû interrompre une conversation importante. Huguelin, qu’en dis-tu ?
    — Certes, mon maître, certes.
    Maîtresse Borgne disparut par un couloir situé en diagonale de la salle pour reparaître peu après, ayant donné ses ordres à un aide de cuisine qui devait s’affairer à préparer leur repas. Quand elle se planta devant leur table, désireuse d’en apprendre plus à leur sujet, Druon décida de ne pas s’offusquer de sa curiosité.
    — Un vent particulier vous a-t-il mené par chez nous, seigneur mire ? demanda-t-elle d’un ton futé.
    — Non pas. Ici ou ailleurs, quelle importance ? Nous venons de Verrières où nous étions les hôtes du seigneur Roland.
    — On l’dit bien souffrant.
    — Il l’était avant notre arrivée. Il monte à nouveau et chasse un peu. Certes, je n’ai que l’art de soigner, pas le pouvoir de rajeunir.
    Une lueur admirative, quoique méfiante, dans le regard, la tavernière commenta :
    — Fichtre ! Si vous soignez les seigneurs, vot’ science doit êt’e fort chère.
    Druon aurait pu réciter la suite. Elle, ou une sienne amie, ou un sien parent, souffraient d’un mal étrange et persistant, mais n’étaient que de pauvres gens. D’autant que le mage, les amulettes, les potions charlatanes de l’astrologue et le prêtre leur avaient déjà coûté de bonnes pièces. Tous, ou presque, servaient le même refrain pour s’épargner quelques fretins. Le manque d’argent n’expliquait pas tout. L’avarice, si. Druon sourit et répéta à son habitude :
    — Ma science se paye car il m’a fallu de très longues années d’études et d’observations pour l’acquérir. Si je vous annonçais soudain que je suis démuni et ne pourrai régler notre manger, que vous êtes bonne et généreuse et me l’allez offrir, qu’en feriez-vous ?
    — J’vous ferais rosser par Nicol, le souillon de cuisine, qui est bien laid, borné, mais d’dissuasive carrure. (Maîtresse Borgne, en revanche, avait oublié d’être sotte. Elle contre-attaqua :) Voilà d’ben convaincantes paroles, messire. Toutefois, mon omelette est ben réelle, faite avec de véritables œufs, et du lard provenant d’un cochon digne d’ce nom. Mon cidre, mon pain, mon fromage, tout ça s’mange à vous remplir agréablement la panse. Mais votre art, qui m’dit qu’il est pas que billevesées, ainsi que celui d’nombre de ceux d’vous autres qui passez par not’ coin ?
    — Une habile repartie, pleine de sens, dame Borgne.
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