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La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)

La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)

Titel: La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
Autoren: JACQUES GERNET
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goût de l’ordre, de l’équilibre,
du positif, à la foi dans les bienfaits de la vie
sociale s’opposent des tendances anarchisantes
et mystiques. Il y a tout un côté sombre, lunatique et morbide du tempérament chinois. Fort
mal connu, il n’est que l’envers et la contrepartie
d’une sociabilité, d’une confiance en l’homme et
d’un enjouement manifestes. Bien des faits
témoignent d’un désir pathologique d’annihilation de la personne. Dans certaines sectes religieuses auxquelles nous n’avons que des
allusions, les pratiques de magie noire semblent
satisfaire un goût sadique pour les spectacles les
plus horribles. D’autres sont animées par un
fanatisme triste et destructeur. La macération y
est poussée à ses extrêmes, jusqu’aux automutilations et aux suicides. Des techniques traditionnelles de transe et de possession y sont
couramment cultivées. Sous-alimentation etpratiques sexuelles, conçues sous la forme d’une
diététique et d’hygiène sanctifiantes, ont pour
résultat des états de surtension passagère ou un
déséquilibre nerveux permanent qui prédisposent
aux crises d’enthousiasme mystique. La Chine
est un pays d’illuminés, de saints et de prophètes. Mais les techniques de dépersonnalisation y sont en fait beaucoup plus largement
pratiquées qu’on ne l’imagine : dans les classes
populaires, elles visent très fréquemment à satisfaire certains besoins religieux ; elles servent,
dans les milieux lettrés, à favoriser l’inspiration
artistique. Le délire extatique est nécessaire au
calligraphe ou au poète le plus maître de son art.
Mysticisme religieux et intuition esthétique, telles
sont les deux formes de la déraison chinoise.
     
    La vie urbaine a eu pour effet d’infléchir les
tendances générales qui viennent d’être indiquées. Le citadin des hautes classes au XIII e siècle
est doué d’un tempérament nerveux, et, par sa
sensibilité extrême à la mode, par son goût de la
mise en scène et du mélodrame, il paraît même
efféminé. La recherche inlassable du plaisir,
l’abus de l’alcool et les excès sexuels ont
émoussé son énergie et développé le côté velléitaire de son tempérament. Chez lui, le mot et
l’attitude sont très souvent des substituts de l’action. Ainsi s’expliquent son caractère fanfaron et
ses inconséquences. Vers 1275, un préfet de larégion de Nankin avait fait poser de grands panneaux aux limites de sa circonscription. « Si les
cavaliers du Nord arrivent, y lisait-on, je suis
prêt à mourir plutôt que de fuir. » Quand les
Mongols furent là, on ne trouva plus trace de ce
héros : il s’était mis à l’abri. Un plaisantin changea alors quelques caractères d’écriture sur les
panneaux et la déclaration se terminait par ces
mots : « Si je ne peux les vaincre, je m’enfuirai 3 . »
    Plus encore que ses ancêtres, le Chinois du XIII e siècle paraît sentimental et romantique. Il
semble miné par une tristesse existentielle, un
spleen de tréfonds qui s’expriment dans ses
œuvres d’art. La fuite du temps, les échecs, les
déchéances, la douleur des séparations sont des
thèmes fréquents de sa poésie, mais il ne trouve
pas, comme celui de l’époque des Tang, un contrepoids à cette mélancolie foncière dans l’action.
    En revanche, il fait preuve d’une curiosité et
d’une ouverture d’esprit qui étaient inconnues
quelques siècles auparavant. Sa liberté de mœurs
aurait fait scandale sous les Tang. Par sa courtoisie, son humour, son goût de la vie sociale et de
la conversation, il est un des types humains les
plus raffinés qu’ait produits la civilisation chinoise. De l’histoire de sa vie quotidienne se
dégage une impression générale de discipline
spontanée, de gaieté et de gentillesse. Il montre en
tout un vif sentiment de la nuance. A Hangzhou,
on se garderait bien de prononcer le mot de« canard ». Pourquoi ? En arrivant dans cette
ville, les réfugiés du Nord crurent que ce terme
était interdit pour cette étrange raison : si chaud
qu’il soit, le bouillon de canard passe pour ne
pas émettre de fumée. Mais ils apprirent bientôt
le vrai motif de cet usage : les canes ne peuvent
avoir d’œufs avec un seul mâle, et il leur en faut
au moins deux ou trois. Parler de canard à son
vis-à-vis, ce serait faire une allusion désobligeante à sa vie conjugale 4 .
    Le Chinois du XIII e siècle paraît plus libre
d’allure, moins guindé que
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