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La Revanche de Blanche

La Revanche de Blanche

Titel: La Revanche de Blanche
Autoren: Emmanuelle Boysson (de)
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n’hérite ni du domaine Cormatin ni de la maison de la rue de Beauce. J’espère qu’un jour ton frère, Guillaume, aura cette chance. Je ne sais si Ninon t’a parlé de lui. Il est né le 10 juillet 1644, il a sept ans de plus que toi. Son père lui a transmis la passion du droit. Il se destine à la Robe. Tu l’aimeras, il est délicieux.
    Revenons à Charlotte, puisque c’est par elle que mes malheurs sont arrivés. Peu avant la succession, j’ai réuni dans mon salon mes amies lettrées. Ce jour-là, il y avait Arsinoé et sa fille, Sapho, flanquée de ses soupirants, Pellisson et Conrart, mesdames de La Suze, d’Argonnais, de Sablé. Lorsque la conversation porta sur Silvia, Charlotte fit part à l’assemblée du mal qu’elle pensait de ce roman. Des serpents et des crapauds sortaient de sa bouche. Elle somma l’auteur de ce qu’elle appelait un torchon de se démasquer. Je me suis présentée sous les yeux médusés de la compagnie, comme devant un tribunal. Ces pédantes se moquèrent de moi avec morgue et mépris. Je décelai dans leur virulence de la jalousie et la terreur que des vérités qui dérangent soient exposées au grand jour. Seule Ninon me réconforta : je lui dois tant ! Presque tout. Après cette humiliation, expulsée de chez moi, spoliée, bannie, j’ai dû retourner à Locronan. Crois-moi, si je te livre mon cœur, c’est pour que tu ne sois pas dupe. Mieux vaut maintenir une distance respectable avec ceux qui loueront ton talent, sans jamais te le pardonner. Sois digne de ton père : un grand poète. Un jour ses œuvres seront reconnues à leur juste valeur. Il est un homme d’exception, tendre et affectueux. Il a l’esprit noble et honnête. Ma Blanche, suis ta voie et tes désirs, sans te préoccuper du qu’en-dira-t-on. Prends soin de toi, aime et fais ce qui te plaît. Je veillerai sur toi.
    Maman .
    Les mains de Blanche tremblent comme les ailes d’un oiseau pris au piège. Ses jambes se dérobent. Des éclairs traversent son crâne. Elle tente de se retenir au dossier d’une chaise, s’affaisse sur le tapis, ne voit plus rien, n’entend plus rien. Rentré du collège pour la Toussaint, Antoine se précipite vers elle, lui tapote les joues :
    — Blanche, mon ange, que se passe-t-il ?
    La jeune fille ne bouge pas, livide. Antoine court prévenir Ninon. La courtisane attrape des sels, un broc d’eau, une serviette :
    — Ma chérie, que s’est-il passé ? Nous sommes là, près de toi.
    Ninon prend peur, se demande si elle a perdu la raison. Ordonne à Antoine d’aller chercher M. Vautrin, son médecin. La lettre gît sur le sol. Elle la ramasse. Les larmes lui montent aux yeux. Des souvenirs affluent : leurs premières confidences, le mariage d’Émilie, la cour que lui fit son beau-fils, le jour où elle lui annonça qu’elle était grosse de Ronan, son désir de faire passer l’enfant…
    — Émilie, murmure-t-elle. Mon Émilie. Se peut-il que jamais plus je ne puisse toucher ta peau si douce ni entendre ton rire et ton petit accent qui me rappelait que j’étais comme toi, une fille de rien ou presque ?
    En nage, pourpoint taché de graisse, des pellicules sur les épaules, perruque mitée, Vautrin examine Blanche, l’ausculte, la saigne : rien n’y fait.
    — Faites-lui boire des tisanes de sauge et du bouillon avec du sang de mouton. Si dans deux jours, son état ne s’améliore pas, j’aviserai.
    Le lendemain matin, Blanche est adossée à un oreiller. Ninon joint les mains :
    — Tu vas mieux, ma beauté ! Comme je suis contente. Bois un peu de lait de brebis.
    Blanche hoche la tête. Ninon n’insiste pas, Françoise Scarron ne va pas tarder. À peine est-elle partie que Blanche se lève. Elle glisse la lettre sous le tapis, se jette sur son oreiller pour étouffer ses cris :
    — Maman, maman, pourquoi m’as-tu abandonnée ? Je veux te voir, je veux t’embrasser, reviens…
    Flageolante, elle enfile une jupe de laine, un manteau de drap noir, attrape sa bourse remplie des piécettes données par sa marraine, rassemble quelques affaires qu’elle noue dans un ballot et sort, ses chaussures à la main. De l’antichambre de Ninon fusent rires et gloussements. Avant de traverser le vestibule, elle attend que Blase passe, un bouquet de roses à la main – sans doute le cadeau d’un payeur repenti – pour longer à petits pas l’allée qui mène à la porte cochère. Par chance, Ninon a interdit qu’elle soit gardée ou
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