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La Revanche de Blanche

La Revanche de Blanche

Titel: La Revanche de Blanche
Autoren: Emmanuelle Boysson (de)
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Dans ce monde-là, un bon mot vous habille, un silence vous dénude. Combien de fois s’est-elle sentie nue, bécasse ? Le jour où elle accompagna Arsinoé de La Tour à l’hôtel de Rambouillet, Julie d’Angennes, la muse de La Guirlande de Julie , lui tourna le dos d’un : « Votre petit accent a un je-ne-sais-quoi de péquenaud du plus élégamment dépaysant. » Il lui fallut policer ses intonations qui fleuraient le crottin, flatter, se pâmer devant des madrigaux insipides, devenir la plume de cette dinde d’Arsinoé, jouer les espionnes, recevoir de vieux avares puant le rance, Chapelain et sa clique, toujours garder le sourire aux lèvres sans que tombe cette mouche frivole posée à la naissance du menton.
    La Motte, piètre politique, ne bandait qu’au Parlement. Elle le trompa, en pensée, par omission, sans trop de discrétion. Ne s’en repentit pas. On ne péche que pour survivre. Son tort fut de suivre les conseils de Mme de Motteville. Lors d’une réception chez la Plessis-Guénégaud, la dame de compagnie de la reine lui confia qu’elle écrivait ses Mémoires , pratique coutumière chez les courtisans pour se pousser du col. Condescendante, elle suggéra à Émilie de publier son Journal. Elle aurait dû se méfier. Les femmes qui s’exposent, comme Sapho, savent tendre un miroir flatteur à leurs modèles. S’est-elle laissée convaincre par naïveté, impudeur, réserve excessive ou ambition ? Qu’importe. Elle ne regrette rien. Ne s’est pas vengée. Dieu sait pourtant qu’elle crevait d’envie d’envoyer Gros René ou le Sauvage rosser Charlotte, la traîtresse, celle par qui tout est arrivé. Pauvre noix !
    Tout avait commencé par une amitié. Charlotte de La Tour avait le même âge que la préceptrice de Marguerite et de Louis. La rouquine édentée toisa la petite Bretonne du haut de ses cinq pieds deux pouces. Ne tarda pas à se confier, à se plaindre : Charles de La Vallière, son Charles la fuyait. Elle voulait mourir – elle aurait mieux fait de se jeter dans un puits. Émilie la consola, profita de sa déconvenue pour se laisser séduire par ledit Charles. Charlotte vit rouge. Jalousie, manigances, coups bas : elle ne rata rien, pas même sa sortie, bien plus tard, dans le salon d’Émilie où elle démolit son roman devant les bonnes amies de sa mère. Silvia révélait des vérités dérangeantes. Dans les ruelles, on savait qu’Arsinoé avait un peu plus que fleureté avec le père d’Émilie, lettré et marchand de vin. Pour ces gens-là, l’hypocrisie et la perversité s’appellent délicatesse. Émilie avait été démasquée. Humiliée, chassée, diabolisée, elle aurait pu se pendre à un croc de charcutier. Pas son genre. La Kermadec lui avait prédit un avenir brillant. Comme la druidesse, Émilie a toujours pensé que l’éternité est ici-bas : ce soir, face à la lune rousse qui ne ment pas. Quelque part entre Quimper et Douarnenez. Là où elle finira sa vie. Du moins le croyait-elle jusqu’à ce matin.
    Ronan, fils de marin. Quimpérois, libelliste stipendié par La Rochefoucauld. Dans l’église des Blancs-Manteaux, elle avait imploré la Vierge de lui donner un amant. Georges de La Motte venait de rudoyer Guillaume, leur petit garçon. Elle arriva chez Sapho, la mine emplâtrée, chignon à trois étages, jupes superposées. Légèrement éméché, Ronan mit son bras autour de son épaule. Rue de la Vieille-Lanterne, ils firent l’amour dans une pièce jonchée de livres, de bouteilles vidées. Il semblait de passage. Il l’était. Il la voulait, ne la voulait qu’à lui, rien qu’à lui. Elle l’ancra, il lui apprit la lenteur, la volupté. Elle, insouciante, sortait du quartier du Temple, cheveux au vent, panier au bras. Georges fermait les yeux. Ronan malade, l’Hôtel-Dieu, la peur au ventre. Comme si c’était hier. « Je t’aime, tu es une merveille, tu es si belle » et bien d’autres choses douces : elle avait tout noté dans ses cahiers, les relisait depuis quatre ans, la nuit, dans son grand lit carré.
    Ronan disparut à la Saint-Jean. Elle le chercha, supplia Fouquet, se saoula, se fourvoya dans la cour des Miracles parmi les gueux et les tire-laine. Pour lui.
    Mon bannissement a eu du bon, se dit Émilie. Si j’étais restée une Précieuse, Ronan ne serait pas revenu à Locronan. M’a-t-il trompée avec une Indienne ? Que sait-il ? Me juge-t-il ? Pourquoi est-il en Nouvelle-France ?
    Blanche
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