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La Religion

La Religion

Titel: La Religion
Autoren: Collectif
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lame brûlante avec un chiffon mouillé, mais sa teinte noirâtre demeura et, sans bien savoir comment, il comprit que la lame resterait noire pour toujours. L’acier était encore trop brûlant pour qu’il le tienne, et pourtant il répugnait à la tremper dans l’eau car, dans un monde désormais sens dessus dessous, son esprit s’accrochait à son art. Il plongea le chiffon dans l’eau froide et en enveloppa la poignée. Puis il s’immobilisa.
    Du chaos au-delà de la forge lui parvenait une voix – plus proche que les autres – qui appelait Dieu, mais pas pour sa pitié. Plutôt pour sa vengeance et sa colère. C’était la première voix que Mattias avait entendue. C’était celle de sa mère.
    Mattias serra le chiffon humide dans sa main. La chaleur de la poignée était tolérable. La trempe finale de la dague n’avait pas été la plus pure rosée mais le sang d’un meurtrier, et si sa destinée et son but étaient désormais différents de ce qu’il avait imaginé, maintenant les siens l’étaient également. Et il se demanda alors, comme il devrait toujours se le demander, si ce n’était pas en forgeant cette lame du diable qu’il avait apporté cette malédiction fatale sur ceux qu’il aimait. Il chercha l’état d’âme dans lequel il s’était éveillé et ne le trouva plus. Il chercha une prière, mais sa langue ne remua pas. Quelque chose lui avait été arraché dont il avait ignoré l’existence jusqu’à ce que le gouffre que ce quelque chose laissait derrière lui hurle de chagrin. Pourtant, ce quelque chose était parti ; et même Dieu ne pourrait pas le restaurer. La fureur de sa mère le transperça. En furie – et non en larmes – telle était la mort que sa mère avait choisie. Sa rage l’appelait auprès d’elle. Il avança vers la porte et se pencha pour couvrir Britta de son manteau. Britta était au moins morte sur le coup, avec une chanson aux lèvres et la joie de la création dans le cœur. Il y avait un ange dans la dague, aux côtés d’un démon. Il l’emmènerait avec lui. Il emporterait et l’ange et le démon.
    Il sortit dans la froidure, et de la vapeur s’éleva de la lame noire qu’il tenait, comme si la forge renfermait un puits ouvert sur l’enfer et qu’il était un démon meurtrier qui venait d’en sortir. La cour était vide. Les cieux étaient bordés d’un nuage vermillon à ras des crêtes. Du village montaient des colonnes de fumée et avec elles des cris d’angoisse et le crépitement des flammes. Il avança sur les pavés, malade de peur. Peur de la quelconque vilenie qui affligeait sa mère. Peur de la honte. De la couardise. De savoir qu’il ne pourrait pas la sauver. Des ténèbres qui avaient élu domicile dans son esprit. Et pourtant cette obscurité parlait avec une puissance sauvage qui ne tolérait ni refus ni hésitation.
    Plonge dedans , disait l’obscurité.
    Mattias se retourna pour regarder la forge. Pour la première fois de sa vie, il ne vit qu’une terne hutte de pierres. Une terne hutte de pierres avec, dedans, le cadavre de sa sœur et le cadavre d’un homme qu’il avait tué.
    Comme la lame dans la trempe.
    Plonge dedans.
    Dans la cuisine, la petite Gerta était étalée de travers sur les dalles de l’âtre. Ses traits étaient tordus de stupéfaction et des flaques de son sang fumaient sur les braises. Il redressa ses membres fragiles, s’agenouilla et embrassa ses lèvres. Il couvrit son cadavre avec la couverture dans laquelle il avait dormi. Il plongeait. À l’autre bout de la pièce dévastée la porte pendait en grinçant sur une seule charnière. Dans la boue dehors il y avait une mêlée. Il s’approcha. Il aperçut le prêtre du village, le père Giorgi, qu’il servait à l’autel le dimanche matin. Le père Giorgi criait vers des assaillants invisibles, un crucifix brandi dans ses poings serrés. Une silhouette courtaude le frappa sur la nuque et le père Giorgi tomba. Mattias s’approcha encore. Quel genre d’homme pouvait tuer un prêtre ? Puis il s’arrêta et s’écarta soudain en tournant sur lui-même, son esprit gomma en un instant tout ce qu’il avait vu.
    Il cligna des yeux, chercha son souffle mais l’image interdite revint. Le corps nu de sa mère, ses seins pâles et ses mamelons épais et sombres. Son ventre pâle, la toison entre ses jambes. La honte serra son estomac, le poussant à s’enfuir. À travers la cour, au-delà de la forge,
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