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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre
Autoren: Ian Caldwell
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l’instant qui précède l’impact, je pressens qu’il est trop tard, que c’est déjà arrivé. Gil me dépasse et traverse en courant le long corridor obscur. J’avance en automate, poussé par l’instinct entre deux moments d’absence. Mes jambes se meuvent. Le temps piétine ; le monde tourne au ralenti.
    — Mon Dieu ! gémit Paul. Au secours !
    La lune dessine les contours de la chambre. Paul est dans la salle de bains. L’odeur vient de là, celle des feux d’artifice, des pistolets à amorce, d’un désordre général. Il y a du sang sur les murs. Dans la baignoire, un corps. Paul est à genoux, penché sur le rebord en porcelaine.
    Taft est mort.
     
    Gil sort de la pièce en chancelant mais la scène accroche mon regard. Taft est allongé sur le dos, le ventre ouvert. Il a reçu une balle en pleine poitrine et une autre entre les yeux, d’où s’échappe un filet de sang. Quand Paul me tend un bras tremblant, je suis pris d’une envie irrésistible de rire. L’élan me vient, puis repart. Je me sens vidé, presque saoul.
    Gil appelle la police. C’est urgent. Olden Street. À l’institut.
    Sa voix perce le silence. Paul murmure le numéro de la rue et Gil le répète dans l’appareil. Vite.
    Soudain, Paul se relève.
    — Il faut sortir d’ici.
    — Quoi ?
    Mes sens se raniment. Je pose la main sur l’épaule de Paul, mais il fonce dans la chambre, cherche partout : sous le lit, dans la penderie, sur les étagères.
    — Il n’est pas là, dit-il avant de se tourner comme si une nouvelle inquiétude, soudain, le saisissait. Où est mon plan ?
    Gil me consulte du regard, l’air de penser que notre ami a perdu la raison.
    — Dans le coffre-fort, à l’Ivy, répond-il en prenant le bras de Paul. Où nous l’avons mis tout à l’heure.
    Mais Paul se dégage et s’avance seul vers l’escalier. Au loin, on entend le bruit des sirènes.
    — Pas question de partir, décrété-je.
    Gil me jette un coup d’œil avant de suivre Paul. Les ambulances sont à quelques rues et le hurlement des sirènes s’intensifie. Dehors, par la fenêtre, les collines ont la couleur du métal. Dans une église, quelque part, on célèbre Pâques.
    — J’ai menti aux flics tout à l’heure, crie Paul. Il ne faut pas qu’ils me trouvent ici.
    Nous courons vers la Saab. Gil lance le moteur, l’inonde d’essence et la voiture rugit assez fort pour que les lumières s’allument chez le voisin. Il appuie sur l’accélérateur, faisant crisser les pneus sur l’asphalte. Dans une rue latérale, nous croisons une voiture de police qui fonce dans la direction opposée. Nous la voyons s’arrêter devant la maison de Taft.
    — Où va-t-on ? demande Gil à Paul dans le rétroviseur.
    — À l’Ivy, répond-il.

Chapitre 28
    Il plane un silence de mort dans le club. On a disposé des serpillières par terre pour absorber l’alcool renversé par Parker, mais ici et là des flaques scintillent encore. Les rideaux et les nappes sont maculés. Il n’y a pas âme qui vive. De toute évidence, Kelly Danner est parvenue à faire évacuer les fêtards.
    Dans l’escalier qui mène au premier, le tapis est imbibé d’alcool, transporté par les joyeux drilles de tout à l’heure sous leurs semelles trempées. Gil referme la porte du bureau derrière nous et allume la lampe au plafond. La carcasse du bar a été remisée dans un coin. Le feu s’éteint doucement dans l’âtre, mais les braises rougeoient encore et crachent parfois de petites flammes.
    Avec sa clef, Gil ouvre le petit coffre-fort d’acajou.
    — Voilà, dit-il en remettant le plan à Paul.
    Je revois Curry s’avançant vers Paul dans la cour, puis faisant demi-tour vers la chapelle, ensuite vers Dickinson Hall et le bureau de Bill Stein.
    — Bon, continue Gil, qu’est-ce qu’on fait ?
    — On appelle la police. Curry risque de s’en prendre à Paul maintenant.
    — Non, rétorque Paul. Il ne me fera pas de mal.
    Mais Gil pensait à autre chose : comment justifier notre fuite ?
    — Curry a tué Taft ? s’exclame-t-il tout à coup. Je verrouille la porte.
    — Et il a tué Stein.
    J’ai l’impression d’étouffer. L’épave du bar répand dans la pièce des relents sucrés, fermentés. À l’autre bout de la table, Gil reste sans voix.
    — Curry ne me fera pas de mal, répète Paul.
    Mais je me souviens de la lettre trouvée dans le bureau de Stein. Il y en a pour deux. J’ai décidé d’une répartition
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