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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards
Autoren: Stephen Wright
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plus haut dans le ciel d’un bleu
aveuglant, et que les éclairs émeraude d’innombrables libellules fusaient
perpétuellement à la surface de l’œil. Ni l’un ni l’autre n’avait encore perçu
le moindre soupçon de grignotage d’appât.
    « Oui, mon petit navet.
    — Est-ce qu’un mort peut parler ? »
    Euclid n’avait pas l’air d’avoir entendu la question. Il se
frotta le nez, cracha dans l’eau, jeta un regard vers l’autre rive comme s’il
venait d’y surprendre un bruit intéressant ou qu’il s’attendait, d’un instant à
l’autre, à ce qu’y survienne un événement fascinant parmi les pins lointains.
Lorsqu’il parla enfin, ce fut de la voix douce et sans inflexions qu’il
réservait aux questions les plus fondamentales.
    « Le mort fait c’qu’il a envie d’faire. Qu’est-ce qu’un
petit garçon bien sage comme toi vient s’encombrer de ces balivernes ? Ça,
c’est des os à ronger pour les gros chiens, et encore, la plupart passent à
côté sans s’arrêter, ils veulent pas toucher à ce bâton puant.
    — Pourquoi ?
    — Pourquoi ? J’m’en vais t’dire pourquoi. Pour la
même raison qu’ils sifflent quand ils traversent le cimetière. Ces
histoires-là, c’est des trucs de la mort, et les gens ordinaires croient que si
on n’y pense pas, si on n’en parle pas, on l’attrapera pas ; mais ce
qu’ils ont trop peur de savoir, c’est qu’ils l’ont déjà en eux.
    — Ils ont quoi en eux ?
    — T’occupe pas. Assez philosophé pour aujourd’hui. Et
d’abord, d’où t’as vu ce mort parler ?
    — Je ne sais pas. »
    Le rire s’écoula d’Euclid en grandes vagues généreuses.
« Liberty, dit-il en se passant le dos de la main sur son œil humide, ça
doit être pour ça que je t’aime tant. T’es un brave gars et un marrant.
    — Est-ce que c’est vrai, les rêves ?
    — Écoute, déclara Euclid en penchant la tête, je vais
te dire autre chose. Comment tu fais rentrer toutes ces idées farfelues dans ta
petite noisette de crâne ? Bien sûr que c’est vrai, un rêve. Tu l’as vu,
oui ou non ? Pareil que tout ce que tu peux voir autrement. Et si t’as vu
un mort traîner dans les parages, il existait pour de vrai, lui aussi. Comme je
t’ai dit, le mort fait c’qu’il a envie d’faire. Mais si t’en as vu un se lever
et marcher et parler aux gens, c’est sûrement parce qu’il a pas été enterré
correctement. Dans ce monde, on peut pas enterrer un homme dans le mauvais
sens. Il faut être enterré est-ouest, comme ça, quand Gabriel soufflera dans sa
trompette au soleil levant, pas besoin de tourner la tête pour contempler le
jubilé. Il faut de sacrés rituels pour empêcher l’esprit d’errer. Pousser le
bon cri, et que tous les gens marchent en cercle dans la bonne direction. Il
faut mettre les affaires du mort sur la tombe, et ça en fait un paquet. Et si
le cercueil est pas transporté correctement jusqu’au cimetière, c’est normal
que le mort se sente perdu et contrarié. Il est bien capable de retrouver le
chemin de sa maison en rapportant avec lui tous ses soucis.
    — Est-ce qu’il pourrait venir ici, jusque chez
nous ?
    — S’il est mort ici, oui. Mais y a personne qui est mort
ici récemment, que je sache. »
    Liberty médita ces informations et dit d’une voix
tremblante : « Je crois que le mort est dans la grange.
    — Alors, mon lapin, m’est avis qu’on f’rait mieux de
r’tourner jeter un coup d’œil. D’ailleurs, on dirait que nos amis poissonneux
nous ont entendus causer des morts et que ça les a effarouchés. Mais ils
reviendront demain, et nous aussi. »
    Même si le jour approchait rapidement la splendeur sans
ombre du plein midi, Liberty trouva les bois plus sombres au retour qu’à l’aller,
et le moindre craquement, le moindre bruissement résonnait bruyamment comme une
cloche de détresse.
    La grange s’élevait, isolée, dans une clairière derrière la
maison, implacable comme un roc, vieille, grise, ses arêtes durcies par le
soleil : un édifice bâti pour abriter les choses les plus hostiles, quelle
que soit leur taille. La porte ouverte béait telle une bouche dévorante, noire,
abyssale, complètement édentée.
    Liberty attendit dehors, en prenant bien soin de se faire un
rempart du corps d’Euclid contre tout ce qui pouvait surgir de ces profondeurs
ténébreuses. Il entendait ses exclamations rassurantes à mesure qu’il fouillait
chaque stalle
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