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La nuit

La nuit

Titel: La nuit
Autoren: Élie Wiesel
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toujours pas de tomber. On sentait que la fin était
proche, la vraie fin. On n’allait pas tenir longtemps dans ce vent glacial, dans
cette bourrasque.
    Quelqu’un se leva et s’écria :
    — Il ne faut pas rester assis par ce temps-là. Nous
allons crever frigorifiés ! Levons-nous tous, bougeons un peu…
    Nous nous sommes tous levés. Chacun serrait plus fort sa
couverture détrempée. Et nous nous sommes efforcés de faire quelques pas, de
tourner sur place.
    Soudain un cri s’éleva dans le wagon, le cri d’une bête
blessée. Quelqu’un venait de s’éteindre.
    D’autres, qui se sentaient également sur le point de mourir,
imitèrent son cri. Et leurs cris semblaient venir d’outre-tombe. Bientôt, tout
le monde criait. Plaintes, gémissements. Cris de détresse lancés à travers le
vent et la neige.
    La contagion gagna d’autres wagons. Et des centaines de cris
s’élevaient à la fois. Sans savoir contre qui. Sans savoir pourquoi. Le râle d’agonie
de tout un convoi qui sentait venir la fin. Chacun allait finir ici. Toutes les
limites avaient été dépassées. Personne n’avait plus de force. Et la nuit
allait encore être longue.
    Méir Katz gémissait :
    — Pourquoi ne nous fusille-t-on pas tout de suite ?
     
    Le même soir, nous arrivâmes à destination.
    C’était tard dans la nuit. Des gardiens vinrent nous
décharger. Les morts furent abandonnés dans les wagons. Seuls ceux qui
pouvaient encore se tenir sur leurs jambes purent descendre.
    Méir Katz demeura dans le train. Le dernier jour avait été
le plus meurtrier. Nous étions montés une centaine dans ce wagon. Nous en
descendîmes une douzaine. Parmi eux, mon père et moi-même.
    Nous étions arrivés à Buchenwald.

Chapitre VIII
     
     
    À la porte du camp, les officiers S.S. nous attendaient. On
nous compta. Puis nous fûmes dirigés vers la place d’appel. Les ordres nous
étaient donnés par haut-parleurs : « En rangs par cinq. » « Par
groupes de cent. » « Cinq pas en avant. »
    Je serrais fort la main de mon père. La crainte ancienne et
familière : ne pas le perdre.
    Tout près de nous se dressait la haute cheminée du four
crématoire. Elle ne nous impressionnait plus. À peine si elle attirait notre
attention.
    Un ancien de Buchenwald nous dit qu’on allait prendre une
douche et qu’ensuite on serait répartis dans les blocks. L’idée de prendre un
bain chaud me fascinait. Mon père se taisait. Il respirait lourdement près de
moi.
    — Père, dis-je, encore un instant. Bientôt on pourra se
coucher. Dans un lit. Tu pourras te reposer…
    Il ne répondit pas. J’étais moi-même si las que son silence
me laissa indifférent. Mon seul désir était de prendre le bain le plus vite
possible et de m’étendre sur un lit.
    Mais il n’était pas facile d’arriver aux douches. Des
centaines de détenus s’y pressaient. Les gardiens n’arrivaient pas à y mettre
de l’ordre. Ils frappaient à droite et à gauche, sans résultat visible. D’autres,
qui n’avaient pas la force de se bousculer, ni même de se tenir debout, s’assirent
dans la neige. Mon père voulut les imiter. Il gémissait.
    — Je n’en peux plus… C’est fini… Je vais mourir ici…
    Il m’entraîna vers un monticule de neige d’où émergeaient
des formes humaines, des lambeaux de couvertures.
    — Laisse-moi, me demanda-t-il. Je n’en peux plus… Aie
pitié de moi… J’attendrai ici qu’on puisse entrer aux bains… Tu viendras me
chercher.
    J’aurai pleuré de rage. Avoir tant vécu, tant souffert ;
allais-je laisser mon père mourir maintenant ? Maintenant qu’on allait
pouvoir prendre un bon bain chaud et s’étendre ?
    — Père ! hurlais-je. Père ! Lève-toi d’ici !
Tout de suite ! Tu vas te tuer…
    Et je le saisis par un bras. Il continuait à gémir :
    — Ne crie pas, mon fils… Aie pitié de ton vieux père… Laisse-moi
me reposer ici… Un peu… Je t’en prie, je suis si fatigué… à bout de forces…
    Il était devenu pareil à un enfant : faible, craintif, vulnérable.
    — Père, lui dis-je, tu ne peux pas rester ici. Je lui
montrai les cadavres autour de lui : eux aussi avaient voulu se reposer
ici.
    — Je vois, mon fils, je les vois bien. Laisse-les
dormir. Ils n’ont pas fermé les yeux depuis si longtemps… Ils sont exténués… exténués…
    Sa voix était tendre.
    Je hurlai dans le vent :
    — Ils ne se réveilleront plus jamais ! Plus
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