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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix
Autoren: Gilbert Prouteau
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Superb représentaient sa dernière chance. Hotham, s’il l’avait eu à son bord, était prêt à intervenir pour lui auprès de l’Amirauté où son influence était considérable.
    On lui apporte une tasse de café chaud sur le cabestan. Il repose sa tasse, il marche sur le pont, examine le bateau, interroge   :
    —  Où a-t-il été construit   ?
    —  À Bayonne.
    —  Ah ! la digue de Bayonne...
    Il revient vers Mme de Montholon.
    —  Que de choses qui ont été ordonnées et jamais achevées...
    L’Empereur parcourt une dernière fois le front d’une troupe française. Quelques mots aux officiers de L’Epervier   : courage, confiance, les destinées de la France... Aucun d’eux ne lui répondra. Les lieutenants de vaisseau ravalent leurs sanglots.
    Il arrive devant Beker qui ne cherche plus à cacher son émotion, qui laisse fondre ce masque de cerbère déférent qu’il s’est composé depuis Paris. Il est remué dans les profondeurs, Beker. Il cherche ses mots, il bafouille, il articule enfin   :
    —  Sire, si Votre Majesté le désire, je l’accompagnerai jusqu’au Bellerophon.
    —  N’en faites rien, pensons à la France   ; c’est de mon propre gré que je me rends à bord de la croisière. Si vous y veniez avec moi, on ne manquerait pas de dire que vous m’avez livré aux Anglais. Je ne veux pas laisser peser sur la France une pareille accusation.
    A-t-il pensé que l’escorte de Beker impliquait une sorte de livraison par délégation ? Ou plus simplement que l’Histoire et les mémorialistes ne manqueraient pas de condamner la présence du général à ses côtés sur le navire anglais ?
    Il ouvre ses bras. Beker y sanglote le temps d’une brève étreinte.
    —  Embrassez-moi général, je vous remercie de tous les soins que vous avez pris   ; je regrette de ne pas vous avoir connu plus tôt d’une manière aussi particulière, je vous eusse attaché à ma personne.
    —  Adieu, sire, soyez plus heureux que nous.
    « Et voilà que s’anime la scène solennelle qui n’eut pas la terre pour témoin, mais le ciel, la mer et nos cœurs pour en garder le souvenir. »
    L’Empereur est descendu lentement, pesamment dans la chaloupe. Las Cases, les généraux, les deux femmes, les enfants s’installent à ses côtés.
    Sur le pont de L’Épervier, Jourdan, pétrifié de douleur. Les officiers et l’équipage penchés sur le bastingage, les généraux dans les canots, les marins sur la plage, tous avaient ôté leurs coiffures et agitaient leurs chapeaux, casquettes, bérets, mouchoirs pour cet adieu sans retour. Et tout le monde pleurait sans retenue, à grosses larmes silencieuses, comme s’ils savaient qu’ils assistaient à une de ces scènes fabuleuses que le temps gravera à jamais dans la mémoire des siècles.
    Seul Napoléon, blême, calme, impavide, les bras croisés regardait vers le large. Lui qui avait chevauché tant d’étendues houleuses, tant de terres écumeuses, ne chevauchait plus que les crêtes moutonneuses d’un bras de mer. « Lui seul s’est montré grand dans la tempête. »
    Un silence religieux régnait sur cette scène, un silence où se mêlaient la prière et l’élévation. Personne n’osait prononcer une parole. Aucune parole n’était à la mesure de l’événement.
    Le silence explosa dès que la chaloupe prit le large, un immense V IVE L ’E MPEREUR recouvrit la voix des marées.
    Seul sur le pont du Bellerophon, à l’écart du tumulte joyeux qui anime l’équipage, l’enseigne George Home s’est isolé pour écrire ses impressions.
    « À peine trois ans auparavant, il tenait dans sa main de fer l’Europe entière à l’exception de notre petite île... Aujourd’hui il venait implorer notre protection. Nous voyons un brick de guerre appareiller dans la rade d’Aix et qui vient vers nous sous pavillon parlementaire. Il avait le vent debout et n’avançait guère. Je ne pouvais songer à dormir, le cœur plein d’angoisse, je regardais L’Épervier portant César et sa fortune tirer ses courtes bordées. Une grande destinée s’achevait.
    ... Je guettais tous ses mouvements depuis le Bellerophon avec une profonde anxiété. Napoléon ne montra nulle lenteur en cette occasion ; ce fut son dernier acte d’homme libre. La chaloupe n’était pas depuis dix minutes le long du bord que les matelots montaient en grand nombre dans les gréements. Dans la mâture, les hommes agitaient leurs coiffures.
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