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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix
Autoren: Gilbert Prouteau
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visages. Mais au fur et à mesure qu’il s’éveillait ces visages changeaient, Decrès devenait Bertrand, Davout devenait Savary, Fouché devenait Marchand.
    —  Sire, sire...
    C’est le grand maréchal qui pour une fois oublieux de l’étiquette secoue nerveusement l’épaule de l’Empereur.
    Napoléon ouvre un œil et voit autour de lui, rangées comme des pleureuses corses devant un lit d’agonisant, les têtes révulsées de Lallemand, de Savary, de Bertrand. Et Marchand, immobile et cireux, qui tient le flambeau comme un cierge.
    —  Sire, le général Beker vient d’apporter un message de Bonnefous, le baron Richard veut venir vous arrêter. Il faut vous habiller.
    —  Eh bien, habillez-moi. Marchand, apporte-moi mon uniforme des chasseurs de la Garde.
    Marchand revient en tirant une malle d’osier. Sur la table reposent le frac, le gilet et le chapeau, le pantalon à pieds, tout ce costume de vaudeville, qui donnait à la tragédie de faux airs de mélodrame. Mais pour la dernière parade, Napoléon a décidé d’endosser la légende et de revêtir l’apparat. Et dans la petite chambre où se mélangent les odeurs de suif, d’iode, de tabac à priser et de stéarine fondue, Marchand éclaire une scène de Molière.
    Ils veulent tous participer aux préludes de la dernière parade. Ils sont à quatre pattes pour lui passer les bas de soie, la culotte, les bottes à haute tige. Ils se relèvent, empressés, serviles et fébriles. À moi le gilet de cachemire. À toi les bretelles. À toi les petits sachets cousus de diamants {96} . À moi l’épée de Marengo. À toi la veste à parements rouges aux retroussis dorés de cors de chasse. À moi les épaulettes d’or. À moi le grand cordon de la Légion d’honneur...
    Et quand enfin ils se reculent pour juger de la perfection de l’entreprise. Napoléon dit aux trois habilleurs   :
    —  Vous me mettrez la plaque de la Couronne de fer.
    L’homme qui va se rendre aux Anglais veut leur rappeler qu’il est roi d’Italie. Il ne manque que le casoar à cocarde d’Austerlitz. L’Empereur l’ajuste lui-même devant le miroir. Et c’est Marchand qui tient à deux mains, comme si c’était le manteau du sacre, cette ample redingote vert olive de roi des montagnes... Une dernière retouche au costume pour le portrait devant l’Histoire.
    Et au bas de l’escalier, on retrouve Beker, Gourgaud, Montholon, les femmes et les enfants. Et dans la nuit tiède qui fleure la marée, le fucus et l’œillet, le cortège se dirige en silence vers les rochers de la pointe sud, «l’anse à Barbotin ».
    La nouvelle a couru l’île, les fenêtres sont à l’affût, les portes s’ouvrent, les fichus se nouent sur les épaules, les pieds nus galopent sur le sable. Et très vite le quai se peuple de femmes au regard endormi, de marins figés, de pêcheurs tristes, le béret à la main, et qui regardent la scène et s’en imprègnent pour la raconter dans longtemps, longtemps à leurs petits-enfants {97} .
    « ... Il y avait une lune de sang, pleine et rouge, un peu de houle, pas un souffle de vent. On y voyait comme en plein jour. Je l’ai vu qui s’avançait, ses bottes s’enfonçaient dans le sable mouillé. Je voyais reluire son épée et ses croix. Il y avait des petites vagues, un peu d’écume sur le sable. Deux marins avaient immobilisé son canot. Et lui, avant de monter, il s’est retourné et il a regardé de tous ses yeux. Son dernier regard sur la terre de France qu’il ne reverrait plus jamais. Il a fait une sorte de geste du bras, triste, accablé. Son bras est retombé et lui, on l’a hissé sur le canot. Ton grand-père pleurait. Et quand la barque s’est éloignée, j’ai ramassé le sable de la dernière empreinte de l’Empereur sur le sol français et je l’ai mis dans un flacon. »
    Vous l’avez encore grand-mère Vous l’avez encore...
    Le baron Richard dort si profondément que M. de Bonnefous doit frapper trois fois à la porte de la chambre qu’occupait Napoléon huit jours plus tôt.
    —  Monsieur le baron, monsieur le baron...
    L’envoyé de Louis XVIII se dresse sur son lit   :
    —  Qu’est-ce que c’est   ?
    Le préfet maritime entre, le flambeau à la main et découvre la trogne fripée sous le bonnet à gland, la bedaine épanouie sous le pilou de la lisette.
    —  Ah   ! c’est vous   ? Alors vous l’avez   ?
    M. de Bonnefous pose le chandelier, lève les bras au ciel.
    —  C’est
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