Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La momie de la Butte-aux-cailles

La momie de la Butte-aux-cailles

Titel: La momie de la Butte-aux-cailles
Autoren: Claude Izner
Vom Netzwerk:
milliers, leurs millions de prédécesseurs constituaient le sol sur lequel la foule piétinait, marchait et dansait une éternelle gigue !
    « J’occupe un espace, mais pour combien de temps ? » se demanda-t-il avec inquiétude.
    Une menotte se ferma sur son poignet et chassa ce vent de panique.
    — Faut plus se lâcher, sinon on se perdra ! cria Lucy en riant.
    Il hocha le menton, soulagé, satisfait qu’elle l’eût choisi, lui, et non ce militaire séquestré au fond d’une cave. Il eut une brève pensée apitoyée envers ce personnage filiforme au teint blafard, dont l’état de santé avait nécessité des soins médicaux. Il gomma ce souvenir et ne songea plus qu’au moment actuel, heureux de se presser contre la jeune fille enthousiaste. Il se surprit à s’exclamer :
    — Vive la Russie !
    — Vive le tsar ! clama l’archiduchesse Eudoxie Maximova, penchée à la fenêtre du quai Voltaire d’où elle tentait en pure perte d’apercevoir le cortège impérial.
    Derrière elle ne se tenait hélas pas celui dont elle eût souhaité la présence. Kenji Mori, son mikado adoré, ne lui avait accordé qu’une ultime nuit d’amour square Montholon, où elle prolongeait son séjour chez une de ses amies, la ballerine Olga Vologda. Celle-ci profitait en retour de la chambre louée un prix exorbitant à une dame à particule fréquentant la librairie Elzévir.
    — Rendez-vous compte, ma chère, nous vivons un moment historique ! Depuis sa défaite en 1870, la France n’avait reçu qu’une visite de majesté étrangère, celle du shah de Perse ! déclara la danseuse en roulant les r.
    — Oui, c’est la consécration de l’union de nos deux pays, bien que nos diplomates se refusent à prononcer l’adjectif « alliés ». J’ai ouï dire qu’on a construit une gare spécialement à l’intention de ces visiteurs, celle du Bois de Boulogne. Aujourd’hui une gare, demain, qui sait, un vélodrome ?
    Eudoxie soupira. Elle se moquait éperdument de ces défilés grandioses. Que son époux l’archiduc appartînt à la garde équestre de Nicolas II importait peu. Qu’on la filmât en déshabillé était également secondaire. À quoi bon la gloire, si aucun homme digne de lui plaire ne se pâmait à ses genoux ?
    — Ce galetas a dû vous coûter une fortune !
    — Seulement cinq cents francs la semaine. Une paille, en comparaison des six mille francs exigés pour un grand salon à quatre fenêtres boulevard Saint-Germain.
    — Quelle chance nous avons de nous connaître ! Sans vous, je m’ennuierais dans mon appartement, loin de ma patrie et de ma famille…
    — Votre amant, Amédée Rozel, n’est-il pas le propriétaire de plusieurs ateliers de photographie d’art ?
    N’allez-vous pas interpréter l’année prochaine Coppélia sur la scène de l’Opéra ?
    — Certes, mais rien ne remplace une amitié sincère, soupira Olga Vologda.
    Eudoxie ravala une réflexion discourtoise. Elle savait qu’Olga avait été la maîtresse de Fédor. Elle-même avait couché avec Amédée. Au fond, Olga avait raison, partager ce qu’on avait de plus précieux, telle était la base d’une affection solide.
     
    — Moi qui me figurais qu’Olympe éprouvait à mon égard une confiance sans égale ! Et c’est vous qui m’apprenez sa rapacité !
    Raphaëlle de Gouveline arpentait le salon d’apparat crème et céladon où trônait le tableau esquissé par Tasha. Son bichon et son schipperke s’attachaient à ses mules brodées et, chaque fois qu’elles virevoltaient, manquaient se tamponner.
    — Bélinda, Chérubin, arrêtez de me tarabuster ! Êtes-vous certaine de ce que vous avancez, ma chère ?
    — Parfaitement, répliqua Mathilde de Flavignol. Je le tiens d’Adalberte. Cinq cents francs la semaine, une misérable mansarde quai Voltaire. Faut-il qu’elle soit désargentée !
    — Et faut-il que les gens soient idiots ! Cet engouement envers la Russie est d’un vulgaire ! On nous inonde de crèmes franco-russes, de fromage de Hollande franco-russe, de marrons franco-russes…
    — Pourtant les cosaques du Don ont occupé Paris. L’époque n’est guère éloignée où leurs montures broutaient l’herbe des Champs-Elysées, nota Mathilde de Flavignol. Mon aïeul…
    Raphaëlle de Gouveline l’interrompit d’un signe abrupt et la somma de la rejoindre devant le chevalet.
    — Étrange, cette toile… Je ressemble un peu à la reine Victoria, en plus grand
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher