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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse
Autoren: Érik Emptaz
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rond. Il n’est pourtant pas dans la prison qu’aurait dû lui valoir sa condamnation. Il n’a même pas passé une seule nuit dans une geôle du pénitencier de Rochefort où tout autre à sa place aurait été conduit. Le commandant déchu est dans la Somme. Sa cellule n’est pas trop exiguë. Elle comporte 35 pièces sans compter les communs. Après un séjour à l’hôpital militaire de Rochefort, c’est ici, au château d’Ham, qu’on l’a transféré afin qu’il y purge sa détention. Un gros château en guise de prison pour lui tout seul, ou presque.
    Une épaisse bâtisse fortifiée dont la dernière restauration remonte au XIII e siècle. C’est ce que lui a affirmé Bricard, qu’il traite comme un valet et qui est son geôlier principal. Quelques soldats veillent également à la garde du prisonnier. L’épais donjon crénelé du château d’Ham, ses hauts murs borgnes et ses austères bâtiments se font nuit et jour l’écho des récriminations de leur occupant. Le « naufrageur de La Méduse  », comme l’appellent les gens du bourg, se plaint de tout du matin au soir. Chaque jour un peu plus persuadé d’être victime d’une machination judiciaire, il ne se contente pas de harceler son gardien de ses récriminations, il accable de courriers tour à tour vengeurs ou suppliants toutes ses relations dans tous les ministères. Chaumareys s’est mis en tête de récupérer ses décorations et d’être réintégré dans son grade. Le temps de la rédaction de ces multiples missives laisse un peu de répit au malheureux Bricard. Car avant même que l’encre de ses lettres n’ait séché, Chaumareys lui en fait à haute voix la lecture en y mettant le ton et en l’injuriant s’il n’y prête pas assez attention.
    Quand il vient le visiter, Gallifet, son avocat, a beau lui répéter qu’il devrait s’estimer chanceux, que le fait d’être le neveu de l’amiral d’Orvilliers lui a évité une peine qui aurait pu être beaucoup moins clémente, le vieux « rentrant » s’entête à lui rétorquer qu’il aurait dû bénéficier d’un non-lieu. Et si Gallifet insiste en lui rappelant qu’il est en résidence surveillée alors qu’il devrait se trouver dans un cul-de-basse-fosse, il le chasse en vociférant. Aucun argument ne vient à bout de l’amertume de Chaumareys. En attendant les réponses à ses courriers, il accuse Gallifet et Bricard de toute l’injustice dont il se sent victime. Son avocat est « à la solde de ses adversaires », et ses « plaidoiries de couard asservi » l’ont « accablé plutôt que défendu ». Quant à son gardien à tout faire, il est traité, selon les jours, de « bourrique, d’incapable ou de vendu ». Gallifet n’est que de passage et s’arme d’une patience contrite. Il visite Chaumareys une fois par mois. Quand les injures empirent, il menace de ne plus revenir. Mais Bricard, lui, est là jour et nuit, alors pour avoir la paix un moment il a recours à quelques adjuvants. Au début, pensant le calmer, il a fourni à son prisonnier cette eau-de-vie de pomme que distillent les gens d’ici. Elle a de solides vertus abrutissantes. Au bourg, quelques anciens grognards ayant remplacé le feu des batailles par celui de la bouteille en sont la preuve éructante. Mais Chaumareys ne manque pas d’endurance. Très vite, le malheureux Bricard a dû constater que la boisson, au lieu d’endormir l’hôte forcé du château, déliait son éloquence et redoublait ses diatribes.
    En revanche, le geôlier-valet a promptement noté que Chaumareys piquait du nez après chaque repas. Il lui en sert donc quatre au lieu de trois et gagne ainsi, au gré des somnolences, quelques heures de calme. Mais ce matin, ni la collation ni la boisson n’apaisent l’ex-commandant de La Méduse. Il vient de recevoir une réponse émanant du chancelier de l’ordre de Saint Louis et il est surexcité avant même d’avoir décacheté l’enveloppe : « Allez, Bricard, fais sortir des caves tes meilleurs flacons ! Nous sommes au matin d’un grand jour. Nous allons bientôt nous quitter, mon ami. Je reprends vie car je reprends mon honneur : on va enfin me rendre mes médailles puis mes titres et ma liberté. Il ne peut en être autrement. Mes amis ont fini par l’emporter… Oui, Bricard, sers à boire et va chercher ta soldatesque, nous allons trinquer. » Chaumareys, tout guilleret, fait sauter d’un coup d’ongle le cachet de cire pourpre aux
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