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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse
Autoren: Érik Emptaz
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CHAPITRE PREMIER
    L’aube se lève à peine et le cri des mouettes dans la ruelle me raye les tympans. L’hôtel est borgne et j’y suis seul. Tiré d’un sale sommeil par le bruit d’une bouteille éclatée sur les pavés et l’écho des injures de deux marins ivres qui se battaient sans conviction sous mes fenêtres, je ne parviens pas à me rendormir. Dans la semi-pénombre de la chambre, je me sens nauséeux. Un miroir dont le tain craquelle me renvoie mon image qui n’en finit pas de se lézarder : celle d’un garçon de 27 ans, grand, maigre, triste et mal rasé, que la vie vient de cabosser.
    Voilà moins d’une semaine, j’étais à Paris dans un grand lit. Je ne me retournais pas sur la paillasse d’un bouge du port de Rochefort et mon nom n’était pas inscrit à la plume sur une feuille de route militaire. À mes côtés, Gabriele avec son sourire encore endormi, ses fesses rondes et sans défaut, palpitante de vie… C’était avant, c’était hier et ce ne sera plus jamais. Elle est morte et je m’apprête à partir sans trop savoir où je vais.
    Tout a commencé mercredi dernier. Je l’ai attendue trois heures, elle n’est jamais venue. J’ai tout imaginé, mais pas un seul instant que la mort l’avait retenue. Pour fuir la pluie et abriter mon agacement puis mon désarroi, j’ai fini par entrer dans un tripot du port dont je n’avais auparavant jamais songé à pousser l’huis. J’ai plongé dans un autre monde et dans une histoire qui ne me ressemble pas. Mon amertume d’amant bafoué a très vite viré au roman à deux sous. J’ai bu du vin, du rhum et du tafia comme un vrai marin triste et je me suis soûlé comme un saligaud. J’ai offert force pichets à tous les soiffards de l’endroit pour les remercier d’écouter mes lamentations. Solidarité de comptoir, compassion du litron… En quelques lampées, j’étais à la vie à la mort avec tout le monde. Je n’ai vu passer ni le temps, ni mon argent. J’avais de moins en moins de peine et de plus en plus d’amis : « Viens avec nous mon gars, oublie-la, ta donzelle ! Là où qu’on va, y en a des bien plus belles…» J’ai bu encore, et beuglé en chœur avec les assoiffés. Trop tard pour reculer : aviné jusqu’aux yeux, j’ai fini par les suivre. Ils allaient s’enrôler pour l’Afrique, eh bien moi aussi. Adieu Gabriele, à moi la marine !
    « Nom, prénom ? Tu signes ici…
    — Savigny… Jean Baptiste, mes amis m’appellent Sav…» Bavant de vinasse et de reconnaissance, j’ai répondu en articulant de mon mieux avant de signer des deux mains sous les vivats de mes compagnons de beuverie. C’est au moment où il me tendait ma prime d’engagement que le sergent recruteur m’a retenu par la manche : « Dis-moi, l’échalas, attends un peu, tu sais pas boire mais tu sais lire et écrire ? » Des derniers enrôlés, j’étais le seul à ne pas avoir apposé une croix mais signé de son nom. « Et même qu’il sait tailler dans le gras vu qu’il sort de l’école de médecine ! » Le sergent a avisé son supérieur le plus proche. À pareille heure, il s’agissait d’un major des services de santé. Mes rencontres de taverne lui ont confirmé que je leur avais parlé d’études de chirurgie. C’est du moins ce qu’on m’a raconté car je n’ai vraiment repris conscience que dix heures plus tard, avec la sensation qu’un maréchal-ferrant me redressait la boîte crânienne au marteau. De fait, un barbu ventripotent me malmenait les oreilles : « Certes vous avez eu tort de vous arsouiller comme un Breton mais, pour partir, vous avez fait le bon choix, Nouveau Monde, nouvelle vie, apposez votre nom ici ! » Encore signer, sûrement pas ! C’est pourtant ce que j’ai fini par faire. L’homme était un médecin de l’armée, il avait vérifié mon diplôme de l’école de médecine de Rochefortet n’a pas tergiversé pour m’expliquer la situation. Le marché était clair : ou je devenais comme mes amis d’estaminet, simple soldat dans le régiment du Sénégal pour une durée de cinq années avec une solde de 150 francs par mois. Ou j’acceptais, pour une durée similaire, un poste au service sanitaire de l’expédition du Sénégal, guère plus rémunéré, mais correspondant mieux à mes capacités ! Tout autre choix serait assimilé à une désertion, crime puni de la peine de mort ou, ce qui n’est guère plus clément, des travaux de force au
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