La lanterne des morts

jusqu’ici léger, redoubla lorsqu’on y jeta un seau de résine et des brassées de bois sec. Le charbon de terre qui chaufferait le calcaire commençait à produire une très forte chaleur.
    Valencey d’Adana entendit les hurlements de Blacfort et son prénom crié comme un ultime recours. Impuissant, fermement tenu, le général ne put empêcher ses larmes en répétant:
    – Pas comme ça… Oh non, pas comme ça… Pas comme ça…
    De longues minutes s’écoulèrent. Dix, vingt, trente?… Valencey d’Adana, tête baissée, le regard rivé au sol, ne le sut jamais.
    Puis des cavaliers arrivèrent. Vingt-cinq hommes des troupes de police secrète en campagne, tout en noir, des Américains, des grenadiers, d’autres encore de la 123 e «Liberté, liberté chérie» qu’on n’avait pu retenir.
    La petite foule des villageois voulut s’opposer à leur arrivée mais Gréville, sans aucun état d’âme, sabra deux hommes en entaillant les épaules. Les arrivants, soldats et policiers, n’étaient pas doux à la vue de leur général blessé…
    Gréville, lui, avait déjà compris mais il était bien trop tard. Il envoya chercher des interlocuteurs parmi ceux qui, restant chez eux, avaient refusé de prendre part à cette mise à mort.
    On sortit les restes. Un crâne, une cage thoracique, des os et le chapelet d’ivoire à têtes de mort.
    Valencey d’Adana, auquel on bandait les mains, ordonna à ses hommes:
    – Emportez ses restes. Il sera enterré n’importe où ailleurs, mais pas ici.
    Victoire le tenait par les épaules, jetant des regards haineux aux villageois qui tous, pourtant, n’avaient pas participé à cette exécution.
    Gréville s’approcha.
    – Qu’allons-nous faire, à présent?
    Valencey d’Adana lui sourit faiblement.
    – Demain, venez au château. Mais pas trop tôt. «Liberté, liberté chérie» y arrivera après-demain en convoi avec ses chariots. Il y aura trois jours de fête… Combien avons-nous perdu d’hommes?
    – Les morts, une trentaine. C'est toujours trop mais par rapport aux Vendéens, c’est dérisoire. O'Shea a reçu une balle dans la gorge, le capitaine Hyppolite a été frappé de plusieurs coups de sabre. Tous deux risquent fort, hélas, de ne pas survivre, s’ils ne sont déjà morts…
    Valencey d’Adana jeta un regard à Mahé, la tête bandée, et à «Diego» Quetzalcóatl. Le Maya au bras coupé venait de mourir.
    – Je rentre. Immédiatement.
    – Mais vos mains!… protesta Gréville.
    – J’ai une solution.
    Victoire se mit en selle, Valencey d’Adana monta en croupe. Puis il s’adressa d’une voix émue au chef de la police secrète:
    – Monsieur Gréville, il y a partout tant de morts, tant de combats, je doute qu’on se souvienne de cette bataille dans les livres d’Histoire mais j’ai été fier et honoré de vous avoir à mes côtés tel un ami fidèle.
    – Je ne sais que vous dire… Votre amitié a plus de prix que tout ce qui par ailleurs fait ma vie. Reposez-vous…
    – Cela, n’y comptez tout de même pas trop! … répondit Victoire en adressant un clin d’œil au général de police amusé puis, Joachim serrant sa taille, elle lança son cheval, aussitôt imitée par Mahé et «Diego» Quetzalcóatl.
    Les silhouettes des cavaliers furent longtemps éclairées en ombres chinoises par La Lanterne des Morts puis ils disparurent derrière une colline, dans les premiers feux du soleil levant.
    1 Village situé à une douzaine de kilomètres de Saint-Jean-d’Angély.
    2 Paysans.

ÉPILOGUE

    UN PEU D’HISTOIRE…
    Cette grande bataille du Nord qu’on a vue se préparer fut la victoire française de Fleurus qui ouvrit la Belgique aux soldats de la Révolution.
    Le lendemain, 9 Thermidor, l’Assemblée décrète de mise en accusation Robespierre, Saint-Just, Couthon… Ils sont arrêtés mais libérés par Hanriot, commandant de la garde nationale, aidé des sections populaires de la Commune révolutionnaire de Paris. Indécis devant l’affrontement, légaliste, Robespierre hésite trop longtemps. Ses troupes et le peuple, lassés, se dispersent dans la nuit. Il est de nouveau arrêté et aussitôt guillotiné – le 10 Thermidor – avec Saint-Just, Couthon et Hanriot. Une centaine de ses partisans sont guillotinés comme lui, sans procès, dans les deux jours qui suivent.
    Les Thermidoriens prirent le pouvoir. Ils se montrèrent aussi corrompus que leurs prédécesseurs furent vertueux – trop, peut-être. Ils